« … – Il faudrait générer une espèce de lame de fond qui puisse entraîner la population vers une seule et même direction. Pour démultiplier une action, l’Abrégé de mathématique de Kabeya Mutombo conseille ouvertement la fonction exponentielle, patron. C’est ce qui marche le mieux… » Extrait de Mathématiques congolaises, Actes Sud, 2008.
Au Congo, on est au courant que nous déplorons plus de 6 millions de morts parmi nous, que plus d’un demi-million de nos mères, sœurs, enfants ont été violées, mutilées et que la société entière en est traumatisée, que l’année dernière aussi, nos services de sécurité ont procédé à plus d’un millier d’exécutions extrajudiciaires, que lors des manifestations, des centaines de jeunes gens ont été incarcérés sans trace aucune, que les fosses communes, verbalisées par des enquêteurs de l’ONU, pullulent à la périphérie de nos villes, que chez nous, ça ne va vraiment plus, qu’en dehors de ce président qui s’incruste, l’impunité règne tellement que, bientôt, on tuera des experts des Nations unies en faisant un selfie parce que, de toute façon, cela n’interpellera personne, qu’ils soient américain ou suédois en même temps que chilien.
Alors, comment se sortir de tout cela ?
Après avoir invoqué la Constitution, signé des pactes, s’être appuyé sur une opposition hypothétique, fort d’avoir côtoyé les sciences et les mathématiques depuis le mésozoïque et l’os d’Ishango* (voir Google), le Congolais, à terme, a dû mettre en place l’opération mathématique intitulée la fonction exponentielle ; celle qui démultiplie une action à l’infini. Car, après tout, pratiquement personne, ni l’Union africaine, ni l’Union européenne, ni l’ONU, n’est prêt à se mouiller pour appuyer notre combat, alors autant faire avec ce qu’on a. D’ailleurs, qui a entendu le président français, promoteur naturel de la francophonie, s’insurger contre la réduction par balles du nombre de francophones au Congo, supposé première nation francophone au monde ? Alors, les Congolais se sont dit, revenons aux ancêtres, à Ishango et à la fonction exponentielle. Celle-ci a pu prendre sa vitesse de croisière par le truchement, notamment, de citoyens tels que le professeur Isidore Ndaywel (un des fondateurs de la Francophonie, justement), Léonie Kandolo, Thierry Nlandu, Justin Okana, Gertrude Ekombe, Jonas Tshiombela, Julien Lukengu, Franklin Mbokolo, tous, membres du Comité laïque de coordination (CLC) qui, désormais, vivent dans la clandestinité parce qu’un mandat d’arrêt a été décerné contre eux. Aussitôt formé le 2 décembre 2017, le comité a lancé un appel à une marche pacifique le 31 décembre. Sa particularité était qu’en coordination avec l’Église catholique, il a pu prendre son essor en sortie d’église à partir de 167 paroisses à travers Kinshasa. La répression de la police et de l’armée a eu pour effet un décompte de 6 morts par balles, des dizaines de blessés, plus de cent arrestations. Des lacrymogènes roses fluo ont été tirés dans une maternité où s’étaient réfugiés des paroissiens. On a ainsi gazé des nouveau-nés comme le faisait Ali le Chimique avec les petits Kurdes en Irak. Pour ne pas s’arrêter en si bon chemin, on lance également des mandats d’arrêt à l’encontre des membres du CLC.