R.D. Congo: Le rôle des minerais dans les conflits remis en cause

Tout le monde se souvient de l’émotion au sein de la communauté internationale face à ce qu’on a appelé les « minerais de sang », c’est-à-dire l’idée selon laquelle le coltan, la cassitérite, le tungstène et l’or qui sont exploités en République démocratique du Congo seraient à l’origine de la violence dans ce pays, notamment en permettant aux groupes armés de se financer. Une soixantaine de chercheurs parmi les plus connus sur la RDC, de membres de la société civile et d’acteurs du secteur minier publient ce mercredi une lettre ouverte à paraître dans plusieurs grands quotidiens pour dénoncer cette vision et l’impact des mesures prises.

Les signataires rappellent avant tout que selon des études internes à l’ONU, seulement 8% des conflits en RDC sont liés aux minerais.

Ils soulignent également les conséquences dommageables des mesures qui ont été prises pour remédier à un phénomène, selon eux largement surévalué. Dans ce registre, la législation emblématique est la section 1502 de la loi américaine Dodd-Frank qui exigeait des entreprises la traçabilité des minerais de RDC. Une législation jugée contre-productive.

A en croire les soixante signataires de cette lettre, rien n’a changé ou presque depuis le mouvement contre les « minerais de sang ». Quatre ans après l’adoption de la loi Dodd-Frank, très peu d’exploitations ont pu obtenir une quelconque certification, la majorité des sites restent dans l’illégalité ou sont en déclin à cause du retrait de certains acheteurs internationaux. Ce que confirme l’un des signataires, John Kanyoni, vice-président de la Chambre des mines en RDC et lui-même exploitant : « Les acheteurs traditionnels que nous avions se sont automatiquement désintéressés de la RDC et des autres pays voisins de la RDC. Avec comme conséquence, des millions et des millions de personnes qui se sont retrouvées au chômage, et [des difficultés] pour les gouvernements, surtout des provinces de l’est de la RDC, le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et le Maniema, qui dépendaient essentiellement des recettes émanant du secteur artisanal. »

« Il y a aussi une autre conséquence qui est très fâcheuse, poursuit John Kanyoni, c’est la recrudescence de la fraude et de l’illégalité alors que nous avions fait énormément d’efforts. Nous étions déjà engagés dans un processus qui était le plus inclusif, qui est celui de l’OCDE à Paris, pour [… ] faire partie d’un secteur qui soit de plus en plus assaini. »

Ces mesures coercitives n’empêchent pas non plus les groupes armés ou l’armée régulière de continuer de profiter de l’exploitation de ces minerais. Au lieu de se présenter sur les sites et risquer de gêner la certification, ces hommes en armes mettent en aval des barrages routiers qui leur rapportent des millions, expliquent encore les auteurs de la lettre.

Processus de certification critiqué

Ceux qui se sont retirés des zones minières ont tout simplement préféré se tourner vers d’autres commerces illégaux comme le trafic du bois, de la marijuana ou encore de l’huile de palme. Il n’y a donc pas eu de baisse significative du niveau de violence ou de réduction du nombre de groupes armés. « Bien sûr que pendant ces derniers quinze ans, peut-être vingt ans, les ressources minières ont à un certain point joué un rôle, même parfois important, pour financer des conflits armés, concède le chercheur allemand Christophe Vogel, signataire lui aussi de la lettre. Mais en regardant certains acteurs clés du conflit, on voit aussi clairement que, dès qu’un groupe rebelle ou une milice ou des acteurs criminels de l’armée nationale n’ont plus l’accès à ces minerais, ils vont s’approvisionner avec plein d’autres ressources, notamment le chanvre ou même du commerce complètement légal du savon, de sel, de produits de consommation. Donc il est faux de penser que dès qu’on a assaini le secteur minier, tous les conflits vont s’arrêter tout seul. »

Ces chercheurs, acteurs du secteur ou de la société civile, mettent aussi en cause le processus de certification en lui-même : délais d’obtention trop longs, visites d’experts trop irrégulières ou simplement dans les fonderies hors de la RDC et pas sur les sites miniers eux-mêmes.

La semaine dernière, le département américain du Commerce avait lui-même avoué ne pas être en mesure de dire qui parmi les 400 opérateurs du secteur minier dont il publiait la liste finançait indirectement le cycle de violence au Congo en achetant ces « minerais de sang ».

Parmi les mesures préconisées par les signataires, on trouve une meilleure concertation avec tous les acteurs et une prise en compte des réalités locales du secteur minier en RDC. Ils insistent également auprès des gouvernements, entreprises et autres organisations du secteur sur l’importance d’une meilleure prise en compte des causes profondes du conflit telles que l’accès à la terre ou les luttes politiques dans le contexte d’une économie militarisée.

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