Le rapport Mapping: Le sang des victimes crie justice et réparation

MAPPING

La société civile congolaise, le Dr Mukwege en tête, se mobilise pour que la justice internationale se
saisisse enfin des crimes commis au Congo.

La publication, le 1er octobre 2010 , du Rapport Mapping, rédigé par le Haut-Commissariat des Nations unies aux Droits de l’homme fit l’effet d’une bombe dans la région des Grands Lacs et une intense activité diplomatique fut alors déployée pour calmer la colère du Rwanda et de l’Ouganda, Kigali menaçant de retirer ses 3600 casques bleus positionnés au Darfour.

Dix ans plus tard, grâce au plaidoyer mené par le Docteur Mukwege dans la foulée du Prix Nobel de la
Paix décerné en 2018, le rapport est sorti des tiroirs onusiens. La semaine dernière, le Parlement européen a soutenu la proposition de mettre sur pied un tribunal international qui examinerait enfin les crimes commis au Congo et mettrait fin à un quart de siècle d’impunité. Désormais, activistes congolais comme ONG internationales ne jurent plus que par le rapport Mapping, exigeant que soient publiés les noms des principaux responsables ou instigateurs des violations des droits de l’homme commises dans la région depuis un quart de siècle.

Ainsi que le rappelle Human Rights Watch, le rapport Mapping est un document détaillé qui décrit les
principaux crimes commis en RDC durant une période déterminée, entre mars 1993 et juin 2003. Durant un an, coordonnés par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, une vingtaine de spécialistes, congolais et internationaux, ont examiné les rapports et témoignages produits durant une décennie par les ONG opérant au Congo. Le document analyse 617 des cas les plus graves, parmi lesquels des massacres, des crimes de guerre, des actes de violence sexuelle, des attaques dirigées contre des enfants et des civils sans défense. Est-il nécessaire de souligner que les crimes commis après la clôture du rapport, c’est-à-dire de 2003 jusqu’à nos jours, sont au moins aussi nombreux que les cas examinés à l’époque et sont favorisés par l’impunité qui a toujours prévalu dans la région ? Un deuxième rapport se révélerait au moins aussi fourni et aussi explosif que le premier…

Si le rapport Mapping initial a suscité tant de remous c’est parce que ses enquêtes s’attachent à une
période particulièrement délicate, celle de la première guerre menée au Congo par l’AFDL, cette force composite où des rebelles d’origine congolaise se réclamant de Laurent Désiré Kabila étaient menés par des troupes ougandaises et surtout rwandaises, auxquelles se joignirent plus tard des contingents burundais, angolais et zimbabwéens. L’objectif  initial de cette première guerre du Congo qui mena à la chute du régime Mobutu était de démanteler les camps de réfugiés rwandais qui, après le génocide de 1994, s’étaient égrenés sur la frontière, au Nord et au Sud Kivu. A l’époque, Kigali estimait que ces camps, approvisionnés par l’aide humanitaire et placés sous la responsabilité du Haut-Commissariat de l’Onu pour les réfugiés, étaient aussi devenus, au mépris du droit international, des bases d’entraînement où se préparait une future offensive. L’offensive contre les camps de réfugiés, la course poursuite menée à l’intérieur du Congo par les troupes de l’AFDL traquant les combattants hutus mélangés aux réfugiés rwandais et aux civils congolais furent une « sale guerre », marquée par
la terreur et les massacres. Le nombre exact de victimes n’ayant jamais été réellement établi, il fait
aujourd’hui l’objet d’une surenchère allant jusqu’aux six millions de morts, un chiffre emblématique…

Si le rapport Mapping qui tente de jeter un peu de lumière sur les plus flagrantes violations des droits de
l’homme commises à cette époque suscite aujourd’hui encore tant de passions, c’est parce que ses conclusions posent une question délicate entre toutes : les actes commis pourraient ils être qualifiés de crimes de génocide ? Même si les rédacteurs du rapport précisent qu’il appartiendrait à un tribunal compétent de se prononcer sur le sujet, l’opprobre a été jeté. A l’époque déjà, Aldo Ajello, représentant de l’Union européenne dans les Grands Lacs, qualifiait ce rapport d’ « acte d’hostilité » à l’encontre du Rwanda et craignait qu’il ait un effet déstabilisateur dans la région tandis que de Kigali jusque Luanda des protestations fusaient et exhortaient l’ONU à enterrer le document litigieux.

Les défenseurs des droits de l’homme qui aujourd’hui se mobilisent en faveur d’un Tribunal international sur le Congo pensent exactement le contraire : ils estiment que seule la fin de l’impunité qui a trop longtemps été accordée aux chefs de guerre et à leurs alliés pourrait rompre le cycle de violence qui, du Sud Kivu jusque dans le « Grand Nord » et l’Ituri, continue à faire des milliers
de victimes et à vider le pays de ses ressources naturelles. Dix ans après sa publication, le rapport Mapping, qui mériterait bien une nouvelle version augmentée, est toujours aussi explosif et s’il renforce
l’exigence de justice, il est aussi devenu une arme dans cette guerre de basse intensité qui sévit toujours
dans la région des Grands Lacs…

Par Colette Braeckman

A lire dans le numéro 1055 du Quotidien La Republique