Elu dans des circonstances compliquées, longtemps considéré comme un héritier en politique, le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, n’a cessé d’affirmer son pouvoir, de s’émanciper et de se faire un prénom.
Il y a à peine deux ans, l’ex-opposant s’évanouissait brièvement lors de son discours d’investiture le 24 janvier 2019, sous l’effet de l’émotion, d’une chaleur intense et d’un lourd gilet pare-balle qu’il n’avait pas l’habitude de porter.
« Je m’en excuse auprès du président de la République », lançait-il après avoir repris ses esprits sous le regard impassible de son prédécesseur, Joseph Kabila, qui lui remettait ce jour-là dans une accolade les symboles du pouvoir, première transition sans effusion de sang au Congo.
A peine deux ans plus tard, le président, c’est bien lui. L’homme, dont certains pensaient qu’il préférait le compromis au conflit, vient de faire voler en éclats en quelques jours l’accord de coalition qui le liait à Joseph Kabila: à lui-même les pouvoirs du président, à son prédécesseur le Parlement.
Avec méthode, M. Tshisekedi a marqué son territoire, bien avant son assaut contre la majorité parlementaire pro-Kabila. Il a écarté des piliers du système sécuritaire, le patron des renseignements Kalev Mutond et l’inspecteur général des armées John Numbi.
En écartant ces deux « sécurocrates » sous sanctions européennes ou américaines, M. Tshisekedi a soigné son image de marque à l’étranger où il a multiplié les déplacements, en rupture avec l’isolationnisme de son prédécesseur.
Avant son investiture, « Félix », 57 ans, était surtout connu comme le fils de l’opposant Etienne Tshisekedi, décédé le 1er février 2017 à Bruxelles.
« Son père Etienne était têtu et fier. Félix est plus diplomate, plus conciliant, plus à l’écoute des autres », témoigne un bon connaisseur des méandres de la vie politique congolaise.
– Exil en Belgique –
« Félix Tshisekedi paraît un homme plus calme, doté d’un solide bon sens, presque d’un sens du compromis à la belge », ajoute la journaliste Colette Braeckman, spécialiste du Congo pour le quotidien de Bruxelles « Le Soir ».
Calme mais bagarreur, homme de compromis et des négociations parallèles, Félix Tshisekedi considère en effet la Belgique où il a longtemps vécu comme son « deuxième Congo ».
Facilement reconnaissable à sa haute taille et à sa carrure massive, l’homme est d’un abord courtois, à l’écoute, le ton de la voix mesuré, le débit presque trainant.
Homme de compromis ou calculateur sans pitié? En novembre 2018, avant l’élection présidentielle, Tshisekedi a rompu quelques heures après sa signature un accord des sept ténors de l’opposition qui voulaient serrer les rangs derrière un candidat unique, Martin Fayulu.
Il forme alors une coalition avec un autre opposant versatile, l’ancien président de l’Assemblée Vital Kamerhe, pour se lancer lui-même dans la bataille.
A 19 ans, Félix-Antoine Tshisekedi, troisième d’une famille de cinq enfants, suit son père relégué par le dictateur Mobutu Sese Seko (1965-1997) dans son village du Kasaï. Un épisode marquant pour le jeune homme.
A 22 ans, « Fatshi », sa mère et ses frères prennent le chemin de l’exil en Belgique.
A Bruxelles, le jeune homme fait à l’occasion le coup de poing contre des proches de Mobutu ou même des policiers belges, un soir de février 1991 à l’aéroport, quand son père est empêché de prendre l’avion pour Kinshasa.
Dans l’ombre de la figure paternelle, Félix gravit tous les échelons du parti d’opposition Union pour la démocratique et le progrès social (UDPS).
Luba du Kasaï, il est élu député national à Mbuji-Mayi en 2011. Il refuse de siéger pour respecter le mot d’ordre de son père contre la réélection contestée de M. Kabila.
A partir de 2015-2016, il dénonce la « dictature » de Joseph Kabila, qui repousse les élections prévues initialement en décembre 2016.
Cela ne l’empêche pas de mener des négociations secrètes avec le régime, comme en décembre 2018 pour préparer leur fameux accord de coalition.
Cet accord et son élection sont toujours dénoncés par l’opposant Martin Fayulu, son « frère » de l’Eglise apostolique Philadelphie où tous deux priaient le dimanche à Kinshasa.
Marié, père de cinq enfants, M. Tshisekedi est officiellement diplômé en marketing et communication en Belgique. Ses détracteurs mettent en doute la validité de ces diplômes. Est-ce assez pour inquiéter l’homme fort du géant d’Afrique subsaharienne?