Une vague de protestation populaire a fait tomber, le 14 janvier 2011, le régime autoritaire de Ben Ali en Tunisie. Rapidement, cette colère s’est emparée des rues de plusieurs pays du monde arabe. Cinq ans plus tard, le bilan est maigre puisque seule la Tunisie est globalement parvenue à effectuer une transition démocratique.
La Tunisie serait-elle une exception en matière de printemps arabes ? Initiateurs du mouvement, le 14 janvier 2011 par la chute du régime de Ben Ali, les Tunisiens élisent au suffrage universel, en décembre 2014, Beji Caïd Essebsi.
La même année, une nouvelle Constitution est adoptée et le parti anti-islamiste Nidaa Tounès arrive en tête devant les islamistes d’Ennahda lors des législatives.
Le seul Etat laïc du monde arabe peut s’enorgueillir du fait que le processus politique réalisé dans le pays a valu au Quartet du dialogue national tunisien le prix Nobel de la paix 2015.
Même si la menace jihadiste est de plus en plus présente, frappant de plein fouet le secteur du tourisme, poumon d’une économie déjà en berne, la Tunisie semble avoir réussi sa transition politique et démocratique. Les autres pays traversés par les printemps arabes il y a cinq ans ne peuvent se prévaloir de la même réussite.
L’Egypte toujours instable
Il en va ainsi de l’Egypte, qui a vécu une parenthèse démocratique entre février 2011 (départ de Hosni Moubarak) et juin 2014. Cinq ans après son printemps arabe, l’Egypte de 2016 est redevenue autoritaire.
Après une révolte populaire sanglante (850 morts au moins) ayant mené au pouvoir le candidat des Frères musulmans Mohamed Morsi, les crises s’enchaînent.
Avec l’arrivée au pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi en juin 2014, une répression féroce s’abat sur les Frères musulmans : plus de 1 400 sympathisants des islamistes tués, plus de 15 000 autres emprisonnés ou condamnés à mort, dont Morsi et les membres de son gouvernement.
Aujourd’hui, le nouveau Parlement, élu fin 2015, est totalement acquis à la cause du général al-Sissi, ce qui risque de ne pas faire évoluer la situation vers plus de démocratie ; les mouvements dits laïcs étant aussi la cible des autorités.
Les violences sexuelles contre les femmes, dénonce la FIDH, sont non seulement toujours en augmentation mais aussi utilisées comme arme de répression par les militaires.
Comme en Tunisie, l’Egypte fait elle aussi face à la menace du groupe EI. Le 9 janvier dernier, deux policiers ont été tués dans un attentat revendiqué par les jihadistes à l’ouest du Caire. La veille, c’est un hôtel de la mer Rouge qui avait été attaqué par deux jihadistes.
Libye, nouveau refuge des jihadistes du groupe EI ?
L’évocation d’une intervention occidentale armée en Libye se répand pour tenter de trouver une issue au règne du chaos.
Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en octobre 2011, le pays, véritable mosaïque tribale, est un terrain où s’affrontent des milices rivales. La Libye est ainsi plongée dans une profonde crise politique et sécuritaire sans précédent.
Un bourbier qui profite aux islamistes du groupe Etat islamique puisque tout porte à croire que les bombardements massifs sur leurs positions en Irak et en Syrie les poussent à se restructurer en Libye.
Quelque 2 000 jihadistes seraient présents dans le pays et des camps d’entraînement sont désormais installés aux abords de Syrte où se trouvent de nombreux puits pétroliers.
De plus, dans la Libye de 2016, partagée entre un gouvernement reconnu par les Occidentaux à Tobrouk et un autre, pro-islamiste, situé à Tripoli, les passeurs de migrants vers la Méditerranée fleurissent et prospèrent.
Yémen, le grand oublié
Plus de 6 000 personnes ont trouvé la mort depuis le début de la contestation au Yémen en février 2012 et le départ, après trente-deux ans de règne, de l’ex-président Ali Abdallah Saleh.
Peu couverte par les médias, la transition politique est un échec total et c’est une véritable guerre civile qui ravage désormais le pays, l’un des plus pauvres du monde : d’un côté, les rebelles chiites houtistes, de l’autre le pouvoir sunnite soutenu par une coalition menée par Riyad.
« L’Arabie heureuse » n’en porte plus que le nom, d’autant que, depuis quelques mois, en l’absence de tout dialogue entre les groupes tribaux et sans un Etat fort, al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) tente d’élargir son influence et le groupe EI multiplie ses attaques.
Situation figée au Bahreïn
C’est un quasi statu quo qui règne près de la côte ouest du golfe Persique, dans le petit royaume de Bahreïn, frappé par la contestation en 2011. Les chiites, majoritaires, réclament toujours des réformes politiques et plus de droits aux dirigeants sunnites de la petite île.
Ainsi, depuis cinq ans, à coup de tirs – parfois à balles réelles – et de gaz lacrymogènes, les chiites sont réprimés et les arrestations sont devenues légion.
Ce 31 décembre, des dizaines de contestataires chiites ont ainsi été condamnés pour « terrorisme » à la prison à perpétuité, certains à la peine de mort. De nombreuses ONG n’ont de cesse de dénoncer les violations des droits de l’homme et le recours à la torture.
Les autorités de la pétromonarchie, qui abrite la Ve Flotte des Etats-Unis dans la région, restent persuadées que la main de l’Iran est derrière ce mouvement de contestation, alors que la contestation semble plus politique que confessionnelle.
Le ton est encore monté d’un cran la semaine dernière après l’exécution par Riyad d’un dignitaire chiite puisque Bahreïn a rompu ses relations diplomatiques avec Téhéran et a annoncé l’interruption de toutes ses liaisons aériennes avec l’Iran.
La Syrie n’est plus que l’ombre d’elle-même
Alors que nombre d’experts demeuraient persuadés que jamais un printemps arabe ne se produirait en Syrie, une partie de la population syrienne descend dans la rue en 2011 pour réclamer des réformes seulement trois mois après la révolution de Jasmin. La répression est immédiate.
En cinq années de conflit, le pays n’est plus que l’ombre de lui-même. Des millions de Syriens ont fui le pays, plus de 260 000 autres sont morts, dont beaucoup de femmes et d’enfants. Nombre de trésors du patrimoine de l’humanité ont disparu sous les bombes ou ont été pillés.
La Syrie est aujourd’hui un champ de bataille dans lequel s’entretuent des soldats du régime, des rebelles (de la quasi-disparue ASL, Armée syrienne libre, à ceux du front al-Nosra) et les jihadistes du groupe Etat islamique.
Depuis septembre 2014, la coalition internationale contre l’organisation EI, et les raids aériens menés en parallèle par la Russie n’ont pas mis fin au chaos qui règne, au grand dam de la population.
Tandis que les puissances étrangères s’interrogent sur le sort du président Bachar el-Assad, c’est une génération entière de Syriens qui est en train d’être sacrifiée et un pays qui se disloque entre des zones contrôlées par le régime, d’autres par les rebelles et d’autres encore par les jihadistes de l’organisation Etat islamique.
A la vitesse d’une révolution ?
Depuis cinq ans, un vent de changement souffle ainsi sur le monde arabe, une zone géographique où les disparités – démographique, sociales, économiques, religieuses, etc. – sont énormes entre chaque pays et qu’il faut prendre en compte pour comprendre les diverses évolutions propres à chacun d’entre eux.
Si les printemps arabes ont concerné cinq pays sur vingt-deux, en Arabie saoudite, à Oman, en Jordanie, au Maroc ou en Algérie, des réformes, aussi modestes soient-elles selon les pays, ont été faites ou sont toujours en cours.
Aujourd’hui pourtant, la situation de la région paraît pire qu’il y a cinq ans dans de nombreux pays, à l’instar de la Syrie où les tensions s’exacerbent perpétuellement – sans évoquer l’Irak au bord du gouffre, pays qui n’a pas connu de printemps arabe.
L’avancée et l’extension des jihadistes de l’Etat islamique au-delà même du monde arabe, et la montée des tensions entre l’Iran chiite et le royaume arabe sunnite saoudien, n’offrent rien à présager de positif.
Mais, le « printemps arabe » est aussi appelé « révolution arabe », ce qui laisse espérer que, puisque toute révolution est un mouvement lent et progressif, le meilleur pour les peuples est à venir.
Via RFI