Il y a 47 ans mourait Joseph Kasa-Vubu

Hier 24 mars 2016, cela fait 47 ans depuis que le 1er Président de la République démocratique du Congo, Joseph Kasa-Vubu a tiré sa révérence. Mais on peut être sûr que cette date passera inaperçue comme les autres années. L’Afrique, dans son ensemble, a un problème en cette matière. Ceux qui sont au pouvoir ont tendance à effacer l’histoire, à faire en sorte que celle-ci commence avec eux. Or, cela est de notoriété publique, un peuple sans histoire ressemble à un arbre sans racine.

Père de l’indépendance du Congo, Kasa-Vubu a légué à la postérité l’image d’un excellent gestionnaire, ayant un sens élevé de l’Etat et respectant au plus haut point le bien public. Il n’est pas déplacé d’affirmer que l’indépendance de la RDC est la plus grande réussite de la vie de Joseph Kasa-Vubu. C’est donc à juste titre que Mgr Joseph Malula dit de lui qu’il fut  » le premier à faire raisonner le tam-tam de l’indépendance ».

Toute nation qui veut émerger doit avoir des repères et, parmi eux, des icônes qu’elle regardera chaque jour comme des modèles à incarner, une voie à suivre, comme la France regarde Charles de Gaulle, comme la République Sud-Africaine salue Mandela. C’est dans cette droite ligne que le Congo doit apprendre à regarder Kasa-Vubu.

Remarquablement constant, Kasa-Vubu commence très jeune sa lutte pour l’affranchissement de son peuple du joug étranger. Au Grand Séminaire, dans l’ABAKO, à la tête de l’Etat et jusqu’à quelques instants de sa mort, il poursuivra cette lutte, souvent au péril de sa vie, et à la perte certaine de plusieurs des avantages liés à sa vie. En cela, Kasa-Vubu a réussi.

Quelles qu’aient été ses faiblesses politiques, il a réussi sur l’essentiel. Chaque grand homme vient pour une mission déterminée, précise. Le monde peut ne pas saisir cette mission. Le monde peut trouver inachevée cette mission, il ne peut pas l’appréhender à sa juste valeur, vu la haute portée spirituelle de la mission.

Kasa-Vubu le dit clairement d’ailleurs lui-même, alors qu’il est encore aux premières années de sa présidence :  « J’ai été le promoteur, le bon Dieu m’a donné une inspiration. Je dois la réaliser. Ensuite, ce sera fini. Je n’ai qu’une ambition, celle de donner au pays un bon départ. Ensuite, le pays fera ce qu’il voudra. Les jeunes prendront la direction. S’il le faut, je me retirerai ».

C’est ainsi que quelques temps après son arrivée à Boma, après sa destitution par Mobutu, il repousse proprement un groupe d’officiers militaires, venus de Kinshasa, qui étaient allés le voir pour tenter une action de charme avec lui. Ces militaires se déclarèrent complètement déçus par le général Mobutu qui les avait désorientés en faisant autre chose que ce qu’ils s’étaient convenus lorsqu’ils arrêtaient la décision du coup d’Etat.

Ils révélèrent donc à Kasa-Vubu leur ferme intention de le remettre au pouvoir. Ces officiers étaient-ils sincères dans leur démarche, ou exécutaient-ils là plutôt un coup fourré du général Mobutu, dans le but de condamner Kasa-Vubu à la potence comme il le fit pour les conjurés de la Pentecôte ? On ne le saura jamais.

Toujours est-il que, sobrement, le Président déclina l’offre en leur expliquant clairement qu’il ne pouvait pas accepter que le sang des Congolais coule à cause de lui. Il refusa également des propositions d’exil qui lui venaient de certains pays étrangers.  » Je préfère partager la vie de mes compatriotes, leur répondait-il. D’ailleurs, ma présence parmi eux les rassure mieux ».

Lorsqu’un haut responsable du Kongo Central demande à Boma, en 1968, à l’ancien Président de sortir de son anonymat en descendant à Matadi, Kasa-Vubu lui répond :  » Cher ami, moi j’ai eu mon temps. Le bon Dieu et le peuple m’ont donné le pouvoir. Quelqu’un d’autre l’a pris. Ce n’est pas moi qui ferais couler le sang, qui ferais mourir mon peuple. Je ne le ferai jamais. Je pense que ceci appartient aux enfants de ce pays, lorsqu’ils seront assez mûrs, de se libérer éventuellement ».

Cette attitude hautement responsable tranche nettement avec la propension générale des Chefs d’Etats africains à pérenniser leur règne, en faisant dire au peuple ce qu’il n’a pas dit (à la demande du peuple), et en réagissant violemment lorsque leur trône est menacé, en se battant becs et ongles pour récupérer le pouvoir lorsque celui-ci leur a été arraché.

Dans un cas comme dans l’autre, ce sont toujours des centaines, voire des milliers de vies humaines, pour la plupart innocentes, qui se gaspillent lors de ces luttes pour la conquête, la reconquête, ou la conservation du pouvoir. C’est là l’une des causes principales qui font de l’Afrique ce continent rouge avec des rebellions qui se forment et se reforment, comme s’il s’agissait des mécanismes pouvant contribuer à l’essor de ce continent. Kasa-Vubu, lui, a accepté de se retirer au moment où il n’avait pas encore perdu sa popularité, afin d’éviter au peuple de verser son sang.

Premier ministre de ce qui est encore le Zaïre, Mulumba Lukoji n’hésitera d’ailleurs pas à qualifier Kasa-Vubu de  » modèle d’honnêteté et du sens du devoir et de l’Etat « . Pour Diangienda Kuntima, chef spirituel de l’Eglise kimbanguiste, Joseph Kasa-Vubu est tout simplement  » l’homme le plus méritant de l’histoire de l’indépendance du Congo-Zaïre ». Pour s’être cyniquement écarté de la voie tracée par ce  » modèle d’honnêteté et du sens du devoir et de l’Etat », ce merveilleux pays est devenu une simple source de questionnement sans fin.

Quelques instants avant sa mort, en ce moment où les gens pensent aux enfants et aux parents, lui pense à son pays. A Mgr Ndudi qui lui administre l’extrême-onction, Kasa-Vubu dit : « J’insiste sur la sauvegarde de l’indépendance nationale ». Ce nationaliste hors pair doit bénéficier de la reconnaissance nationale qu’il mérite. Comme disent les Français,  » Aux grands esprits, la patrie doit être reconnaissante ». Nous profitons de cette occasion pour annoncer la parution très prochaine de l’important essai que nous consacrons au 1er Président de la RDC, et qui s’intitule  » Joseph Kasa-Vubu, Pionnier et père de l’indépendance congolaise ».

Via L’Observateur