Accusé d’avoir violé la Constitution, le chef de l’État, fragilisé, accepte de restituer les montants qu’on lui reproche d’avoir détournés. Il ignore en revanche les appels à sa démission.
Il est désolé, il remboursera, mais… il ne démissionnera pas : vendredi soir, en s’adressant au Parlement sud-africain lors d’une allocution suivie par tout le pays, le président Jacob Zuma a réagi par un simple mea culpa au jugement historique prononcé la veille par la Cour constitutionnelle.
Celle-ci avait déclaré que le troisième successeur de Nelson Mandela (après Thabo Mbeki et Kgalema Motlanthe) avait violé la Constitution et qu’il devait rembourser une partie des sommes colossales, puisées dans les caisses de l’Etat, qui ont servi pour la rénovation de sa résidence privée.
Les travaux réalisés dans la propriété de Nkandla, le village natal du Président, dans la région du Kwazulu-Natal, ont coûté 15 millions d’euros. Une piscine, un enclos pour poulets et même un amphithéâtre, payés aux frais du contribuable sud-africain mais que le Président s’est longtemps obstiné à faire passer pour des «travaux de sécurité». Dans un pays potentiellement très riche, mais toujours marqué par d’abyssales inégalités de revenus, et où 25 % de la population est au chômage, le scandale, révélé en 2013, a empoisonné la vie politique et contribué à faire chuter la popularité de l’homme fort du pays, au pouvoir depuis 2009. Après deux années d’enquête, la médiatrice de la République, Thuli Madonsela, une forte personnalité pourtant nommée par Zuma lui-même, avait déjà estimé, en 2014, que le Président devait «rembourser un pourcentage raisonnable des coûts», ceux justement qui ne relèvent pas de la sécurisation de sa résidence. Jeudi, c’est justement ce refus d’obtempérer aux injonctions de la médiatrice qui a valu à Jacob Zuma d’être accusé d’avoir violé la Constitution.
Léopard. A quelques mois des élections locales, le verdict s’avère un véritable camouflet pour le chef de l’Etat qui, même dans son bastion en terre zouloue, n’est plus soutenu que par 33 % des électeurs, selon un sondage publié en février. Samedi, alors que les réseaux sociaux se déchaînaient contre son obstination à se maintenir au pouvoir, Ahmed Kathrada, un compagnon de lutte de Nelson Mandela et l’un des derniers vétérans de la lutte anti-apartheid encore vivant, a lui aussi demandé publiquement la démission de Jacob Zuma.
Fils d’un policier et d’une femme de ménage, longtemps analphabète, l’actuel président a lui aussi fait ses premières armes dans la lutte anti-apartheid. Il sera même emprisonné un temps au célèbre bagne de Robben Island aux côtés de Nelson Mandela et d’Ahmed Kathrada. Mais difficile de trouver d’autres points communs entre les héros de la «nation arc-en-ciel» et cet apparatchik au style populiste, amateur de tenues traditionnelles en peau de léopard, un polygame aux multiples épouses et maîtresses, adepte affiché du test de virginité (une coutume zouloue pourtant récemment interdite dans le pays). D’ailleurs, Jacob Zuma n’a pas attendu son arrivée à la présidence pour s’embourber dans les scandales. Avant d’accéder à la magistrature suprême, il essuie quatre procès. Trois pour corruption et détournements de fonds (auxquels sera notamment associée la filiale sud-africaine de l’entreprise française Thomson-CSF, devenue Thales). Mais aussi un procès pour le viol d’une jeune femme séropositive. En 2006, il sera finalement acquitté, mais suscite le scandale en affirmant à la barre s’être protégé du sida… en prenant une douche ! Dans un pays où 20 % de la population est touchée par le virus, cette déclaration lui vaudra indignations et risées. Un célèbre caricaturiste s’obstinera notamment à le représenter systématiquement avec un pommeau de douche sur la tête.
Scission. Reste que «Jayzee», surnom tiré de ses initiales, a toujours réussi à s’en sortir. Depuis longtemps détesté par les Blancs, qui révèlent parfois un racisme encore prégnant en dénonçant cette caricature de potentat africain, Jacob Zuma déçoit cependant de plus en plus ses compatriotes noirs : seuls 27 % des Sud-Africains noirs urbains le soutiennent désormais. Mais il peut encore compter sur son parti : l’ANC, le Congrès national africain, lui a une fois de plus exprimé son soutien infaillible vendredi soir.
Mais ce soutien est peut-être aussi le signe de faiblesse d’un parti certes toujours dominant (62 % des sièges au Parlement), mais désormais divisé. Il ne s’est toujours pas relevé des séquelles de la crise de 2008, qui avait conduit à la destitution de Thabo Mbeki, ouvrant la voie du pouvoir à Jacob Zuma, mais qui provoquera une scission historique menée par Julius Malema, jeune leader lui aussi populiste qui va partir créer son propre parti. Et c’est précisément le fougueux Malema, devenu l’un des plus farouches et bruyants opposants à Jacob Zuma, qui a introduit le recours auprès de la Cour constitutionnelle, qui a valu au Président sa première disgrâce institutionnelle.
Via Libération