Abacost, glissement, régime spécial : petit lexique du vocabulaire politique en RD Congo

Mardi, le vocabulaire du microcosme politique congolais s’est enrichi d’une nouvelle expression : « régime spécial ». Cette invention du Rassemblement de l’opposition vient rallonger la liste des concepts qui ont marqué la vie politique congolaise. Glossaire.

« Les politiciens congolais se distinguent dans ce domaine : ils sont en effet très forts lorsqu’il s’agit de créer des termes ou des slogans, ou de leur attribuer des acceptions bien particulières », reconnaît le politologue Bob Kabamba, connaisseur des arcanes politiques de la RDC. Professeur à l’université de Liège (Belgique), le chercheur apporte une explication culture : les Congolais comprendraient mieux un message résumé à un concept ou à un mot.

Une tendance qui n’est pas l’apanage des politiques. « Dans la chanson par exemple, les artistes s’adressent au grand public avec des expressions bien spécifiques. En RDC, lorsqu’aujourd’hui on parle de ‘ya Mado’, tout le monde sait de quoi il s’agit ». Ce diminutif du prénom Madeleine précédé de ‘ya’ – une marque de respect aux aînés – fait désormais référence au postérieur bien en chair d’une femme.

« Les politiciens congolais traduisent très souvent leurs ambitions et objectifs par un concept. »

Chez les politiques congolais, de Mobutu Sese Seko à Joseph Kabila, « on traduit très souvent ses ambitions et ses objectifs par un concept », renchérit Bob Kabamba. Autrement dit, « il suffit d’identifier la personne qui a créé un concept pour découvrir ce qu’elle pense d’un sujet ou d’un autre, son programme ». L’idée d’instituer un « régime spécial » en RDC au terme du second mandat du président Kabila, avancée le 4 octobre par le Rassemblement de l’opposition, en est la dernière illustration.

Mais que signifie vraiment « régime spécial » ? En tout cas, rien à voir avec les régimes spéciaux de retraite en France. Pour s’y retrouver, Jeune Afrique vous propose un petit lexique des termes et expressions en vogue ces dernières années sur la scène politique congolaise.

ABACOST loc. m. Contraction d’ « à bas le costume ». Se dit d’une veste de costume sans col à manches longues ou courtes. L’expression est instituée au début des années 1970 par Mobutu, alors président du Zaïre, pour s’opposer à l’impérialisme occidental.

Chantre du « recours à l’authenticité », l’ancien chef de l’État accusait alors le colonisateur d’avoir voulu « perpétuer l’exploitation de l’homme noir par l’homme blanc [en brutissant] complètement le Noir de façon à ce qu’il ne parle, ne pense, ne mange, ne s’habille, ne rit et ne respire que suivant le mode du Blanc ».

Mobutu Sese Seko, président du Zaïre, à Lubumbashi, dans le sud du pays, juin 1983. © Pascal Maitre pour J.A.
Mobutu Sese Seko, président du Zaïre, à Lubumbashi, dans le sud du pays, juin 1983. © Pascal Maitre pour J.A.

ANTI-VALEUR loc. m. Se rapporte souvent aux maux (népotisme, clientélisme, corruption, gabegie, etc.) qui ont rongé le régime de Mobutu entre 1965 et 1997. Le terme a souvent été utilisé lors des travaux de la Conférence nationale souveraine (CNS). Dans l’hémicycle congolais, on entend encore dire : « Il faut combattre les anti-valeurs ! »

ARTICLE 15 loc. m. Synonyme du « système D » en RD Congo. Dans l’imaginaire collectif congolais en effet, l’article 15 de la Constitution stipule : « Débrouillez-vous. » Un clin d’œil à l’explosion de l’informel dans un État où le service public est réduit à peau de chagrin.

CINQ CHANTIERS loc. m. Au départ, l’expression désigne le programme de campagne de Joseph Kabila en 2006, axé sur les infrastructures, la création des emplois, la santé, l’eau et l’électricité. Aujourd’hui, ce slogan résume tout ce qui se rapporte à la reconstruction ou à la réhabilitation en RDC.

Le Congolais qualifie ainsi de « cinq chantiers » l’aménagement d’un pont entre deux villages, la réfection d’une école publique, le revêtement de bitume sur un tronçon de route, etc. Et ce, même si depuis 2011, le chef de l’État a consacré un nouveau concept : la « révolution de la modernité ».

GÉOPOLITIQUE n. f. Se dit d’une représentation clanique ou régionaliste du pouvoir. Les politiques congolais l’utilisent pour dénoncer le tribalisme dans les fiefs de leurs adversaires. Une autorité ou un PDG est accusé de faire de la géopolitique lorsqu’il nomme les ressortissants de sa province ou de sa tribu à des postes à responsabilité.

GLISSEMENT n. m. Action de retarder indéfiniment les échéances prévues dans le calendrier électoral. À Kinshasa, l’opposant Martin Fayulu et plusieurs autres membres de la Dynamique de l’opposition ont organisé ces derniers mois des campagnes « anti-glissement » du calendrier électoral. Le but : exiger la tenue des élections dans les délais constitutionnels.

C’est aussi pour s’opposer au « glissement », risquant d’entraîner le maintien du président Kabila au-delà de son second mandat, que Moïse Katumbi et le G7 ont claqué la porte de la majorité présidentielle.

GUERRE DE LIBÉRATION loc. f. Se rapporte à la rébellion de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), appuyée principalement par les forces armées rwandaises et ougandaises. Cette rébellion met fin, le 17 mai 1997, aux 32 ans de règne sans partage de Mobutu.

Par opposition, la rébellion qui se déclenche l’année suivante se veut une « guerre de rectification », pour « rectifier ce qui n’a pas été bien fait lors de la première guerre » commente Azarias Ruberwa, l’un des chefs rebelles en 1998.

HONORABLE adj. S’emploie pour désigner les députés et les sénateurs, par opposition à « son excellence » qui est réservé au chef de l’État et, en son absence, aux membres du gouvernement. Interdiction donc d’attribuer de l’ « excellence » à un ministre lorsque le président de la République se trouve dans la même pièce.

KULUNA EN CRAVATE loc. m. Se dit d’un responsable politique ou d’un cadre du public ou du privé soupçonné de corruption. Un conseiller spécial du président de la République est même nommé fin mars 2015 pour lutter contre ce phénomène.

RÉGIME SPÉCIAL loc. m. Contraire de la « gestion consensuelle » du pouvoir prônée par la majorité présidentielle, pour la période allant au-delà du 19 décembre 2016 (date de la fin du second du mandat du président Kabila).

Se dit d’une transition sans ce dernier à la tête du pays. Un concept défendu par le Rassemblement de l’opposition, rangé derrière Étienne Tshisekedi et Moïse Katumbi.

TRANSITION n. f. Renvoie souvent à l’idée d’une redistribution des postes ministériels entre la majorité et les partis de l’opposition acceptant de jouer le jeu.

YEBELA inv. « Sache-le », en lingala, l’une des quatre langues nationales de la RDC. Avertissement donné au président Kabila par ses adversaires, exigeant qu’il quitte le pouvoir au terme de son second mandat constitutionnel. À l’inverse, les partisans du chef de l’État parlent de « wumela » (« restez longtemps ») pour encourager leur champion à demeurer à la tête du pays.

ZAÏRIANISATION n. f. Se dit de la nationalisation à partir de 1974 des biens commerciaux et des propriétés foncières appartenant aux ressortissants et groupes financiers étrangers. Les bénéficiaires zaïrois de cette politique sont appelés « acquéreurs ». Explication en vidéo par Mobutu, l’inventeur du concept de zaïrianisation.

(Jeune Afrique)