Donnée largement gagnante par les sondages, Hillary Clinton a été nettement battue à la surprise générale par le candidat républicain iconoclaste. Elements d’explication avec Daniel Warner, politologue américain.
Après le « oui » au Brexit en juin, la victoire du républicain Donald Trump aux Etats-Unis, mardi 8 novembre, sonne comme un nouveau signal, très puissant, des « oubliés de la mondialisation » contre leurs élites. Donnée gagnante par les sondages, Hillary Clinton a été nettement battue à la surprise générale, par le milliardaire new-yorkais. Souvent qualifié de « populiste », Donald Trump n’a cessé durant sa campagne de multiplier les outrances et les controverses, fissurant un peu plus une société américaine déjà très divisée. De quoi le « vote Trump » est-il le nom ? Comment les sondages ont-ils pu autant se tromper ? Franceinfo a interrogé Daniel Warner, politologue américain.
Franceinfo : Huit ans après l’élection du premier président noir des Etats-Unis, les Américains viennent d’élire un homme connu pour ses propos sexistes et xénophobes…
Daniel Warner : C’est une véritable révolution populaire dans le sens où pour la première fois, c’est un Américain, jamais élu, sans expérience de gouvernance, qui va devenir le prochain président des Etats-Unis. Il n’est pas allé à Harvard ou à Yale, c’est un hommes d’affaires milliardaire, qui a utilisé de manière consciente un vocabulaire très simple durant ses meetings de campagne pour se faire comprendre par le plus grand nombre.
La victoire de Donald Trump marque un profond rejet des Américains envers une certaine élite, médiatique, politique, beaucoup trop éloignée de leurs préoccupations. Quand les électeurs doivent choisir entre une candidate qui est allée dans les meilleures universités, ancienne Première dame, sénatrice, qui gagne 225 000 dollars pour un discours, qui est finalement dans le prolongement du parcours des anciens présidents, ils ont envie de changement.
Qui sont les électeurs de Donald Trump ?
La grande majorité d’entre eux fait partie de la classe blanche, populaire, modeste, celle qui n’a pas fait d’études supérieures. Ce sont les oubliés de la mondialisation, qui ont peur de perdre leur travail, qui sont séduits par le discours xénophobe de Donald Trump contre les étrangers, et qui ont la nostalgie d’une Amérique des années 1940.
Le slogan de Donald Trump le résume d’ailleurs très bien « Make America Great Again » (« Rendre sa grandeur à l’Amérique »), c’est une ode à l’époque où les Etats-Unis dominaient seuls le monde, où l’économie était florissante et où les Blancs étaient aussi les plus nombreux. Aujourd’hui, les communautés noire et hispanique sont croissantes, et seront majoritaires dans vingt ans. Ce sentiment de déclassement, d’absence de reconnaissance, Donald Trump a très bien su le canaliser.
Pourquoi aucun sondage n’a réussi à capter cette tendance ?
Parce que les personnes qui font les sondages, tout comme les médias qui les relaient, font aussi partie d’une certaine élite, complètement éloignée de cette réalité. Ils vont poser des questions rationnelles, à des électeurs qui n’ont pas le même registre de langage et ne peuvent pas apporter les réponses attendues.
Le « vote Trump » est un vote irrationnel, à l’image du candidat qui changeait d’idées et qui disait tout et son contraire durant la campagne. Or, les instituts de sondage, cherchent la logique, mais c’est impossible de sonder un vote irrationnel. Le « vote Trump » est en grande partie émotif, affectif, et on ne peut pas le mesurer.
Les médias américains ont pourtant fait beaucoup d’analyses sur ce vote…
Mais de quels médias parle-t-on ? Quand le New York Times et le Washington Post prédisent la victoire d’Hillary Clinton, ça n’intéresse ni n’influence les électeurs de Trump, pour la bonne raison qu’ils ne les lisent pas. Les médias étrangers se basent sur leurs analyses, mais les électeurs de Trump, qui ont souvent peu fait d’étude ne s’y reconnaissent pas.
D’ailleurs, quand le New York Times fait du « fact-checking » sur des idées de Donald Trump, c’est la pire chose à faire pour convaincre un électeur républicain, car il ne comprendra pas la logique, et s’éloignera encore plus du média. Il aurait fallu faire plus d’études sur les audiences, la réception du public auprès de tel candidat, pour s’apercevoir que Donald Trump avait beaucoup plus d’avance sur Hillary Clinton que ce que les médias annonçaient.
Qu’ont montré ces audiences durant la campagne ?
Qu’Hillary Clinton a été une très mauvaise candidate ! Elle avait une organisation géante autour d’elle, de nombreuses personnes pour analyser les sondages, des stars – Jay Z, Beyoncé, LeBron James, etc. – qui la soutenaient, des millions de dollars pour faire campagne… Barack Obama la soutenait, et pourtant, elle n’a jamais réussi à susciter autant d’élan que Donald Trump. Hillary Clinton était beaucoup plus dans l’analyse à froid.
Par exemple, elle ne s’est jamais déplacée dans l’Etat du Wisconsin, historiquement démocrate, car elle était persuadée que c’était gagné. Et bien c’était une énorme erreur puisqu’elle l’a perdu ! Et pendant qu’Hillary Clinton était dans l’analyse, Donald Trump tweetait ! Il parlait directement aux Américains. Son discours, bien que décousu, a été très franc, direct et spontané. Une « nouveauté » qui a séduit un électorat fatigué de voir toujours la politique de la même manière.
Il s’agit donc tout autant d’un échec d’Hillary Clinton ?
Les électeurs de Trump l’ont plébiscité mais il est certain qu’Hillary Clinton et son parti démocrate n’ont pas su voir cette frange de la population, qui se sent délaissée. Le parti démocrate s’est concentré ces dernières années sur les élites financières et sur les communautés (noire, hispanique…) en oubliant qu’il y en avait d’autres Américains entre les deux. Elle en paye aujourd’hui le revers.