Dans le Nord-Kivu, le groupe armé les « Corps du Christ » veut s’attaquer au président Kabila. Son chef, David Maranata, a été arrêté le 7 février mais ses fidèles, illuminés, ne déposent pas les armes.
La nuit tombe sur Butembo et, dans les jardins soignés d’un hôtel de la ville, un « prophète » fait son entrée. Il se prénomme Joseph Ki Sambwa, porte une chemise sale et des chaussures usées. Ces derniers temps, ce quadra erre de colline en colline dans cette région meurtrie du Nord-Kivu, frontalière de l’Ouganda. Il dort dans la forêt et avale des bières dans les bars discrets de cette ville de grands commerçants tournés vers l’océan Indien, ses ports kényans et tanzaniens. M. Ki Sambwa se cache à peine, entretient des relations avec des policiers et agit sous sa vraie identité.
Pourtant, il fait fonction de rapporteur général des Corps du Christ. Cette secte millénariste, devenue en octobre 2016 un intrigant groupe armé, est dirigée par un « prophète suprême » : David Maranata. Ce dernier, un ancien chauffeur de taxi trafiquant d’armes entre Butembo et la frontière ougandaise, est devenu pasteur. Il a été arrêté le 7 février 2017 par l’armée congolaise, non loin de Butembo, accusé de diriger un groupe criminel.
« On est armé de lance-pierres et on recourt d’abord à la Bible, à la force des ancêtres et aux esprits qui réclament que le sang coule pour changer le système politique qui tue les Congolais, proteste Joseph Ki Sambwa, avec des airs de prêcheur. Les politiciens créent le désordre. Il y a eu des millions de morts à l’est de la RDC depuis vingt ans. Notre mission sacrée est d’y mettre fin et de combattre pour créer un nouveau système qui obéira à la Bible. »
Mystico-politiques
A la fois secte religieuse priant sur des montagnes sacrées et milice de fidèles armés de lance-pierres, mais aussi de kalachnikov ou de lance-roquettes, les Corps du Christ ont démontré ces derniers mois leur capacité de nuisance lors d’affrontements avec les soldats de la Mission de l’ONU en RDC (Monusco), l’armée et la police congolaise. Un casque bleu sud-africain a perdu la vie en décembre. Nul ne sait bien combien ils sont.
Ces illuminés à la rhétorique mystico-politique sont le dernier symptôme d’une crise politique pour la direction du pays. Le président Joseph Kabila s’accroche au pouvoir après l’échéance de son deuxième et dernier mandat le 19 décembre 2016. Mais les Corps du Christ sont aussi l’une des multiples métastases des deux guerres qui ont ravagé l’est du pays entre 1996 et 2003.
Opportunistes, les Corps du Christ entendent profiter d’une exaspération des populations délaissées par l’Etat central, épuisées par les conflits et terrorisées par des massacres qui ont coûté la vie à plus de 1 000 innocents à Beni depuis octobre 2014.
« L’armée et l’ONU sont incapables de faire cesser les massacres de Beni. On va s’en occuper et on sait qu’il y a des massacreurs dans l’armée congolaise, on va les affronter, assure Joseph Ki Sambwa. Ensuite, on va s’occuper de Kinshasa, on veut mettre un terme à ce système politique et instaurer une théocratie. »
Les Maï-Maï, ces groupes d’autodéfense de l’est de la RDC, se sont multipliés au lendemain du génocide rwandais. L’arrivée de plus de deux millions de réfugiés au Congo – dont des militaires et des génocidaires devenus miliciens – avait déstabilisé la région et causé une multitude de conflits ethniques, fonciers, politiques et économiques. Milices, groupes rebelles et militaires, tous corruptibles, s’affrontent, s’allient, se trahissent depuis près de vingt ans.
Un drapeau et un hymne pour une théocratie rêvée
Cependant, les Corps du Christ augurent une nouvelle tendance de Maï-Maï « new age », toujours populistes et profondément anti-rwandais, mais qui prétendent se détourner de ces querelles ethniques pour voir plus loin. Cette année, les esprits et les prophètes ont la folie des grandeurs, disent vouloir s’attaquer au système Kabila et agrémentent leurs discours de politique nationale, vilipendant une « démocratie vérolée » qu’ils veulent remplacer par une théocratie à la suite d’une guerre forcément sainte. Ils ont déjà leur drapeau – douze étoiles encerclant la Bible –, leur hymne national en swahili et un programme politique simpliste. De quoi séduire une partie de la jeunesse des collines. Le scénario d’une révolte menée par des héros ordinaires des campagnes de l’est de la RDC touchés par la grâce divine ne laisse pas indifférent.
A plus de 150 km de Butembo, au bout d’une piste défoncée qui serpente dans les collines, d’autres chefs de guerre sont récemment sortis du maquis pour eux aussi menacer Kinshasa et les massacreurs de Beni. Dans la ville de Kirumba, réputée pour être un de ces épicentres de microgroupes armés, Muyisi Ousama prépare également sa « révolution ». Ce maquisard, soupçonné par l’ONU d’avoir perpétré des tueries de Hutu rwandais et congolais, responsables de la mort de son père, se vante d’avoir mis sur pied une grande coalition de milices unies derrière un même but.
« Forces surnaturelles »
« On ne croit plus en la politique qui a échoué et montré ses limites, dit-il. Plus de pardon. Désormais, il n’y a plus que la force qui peut marcher. Alors on fédère les groupes armés de la région. » Le voilà commandant opérationnel d’une nouvelle milice apparue en même temps que les Corps du Christ, dont il est proche. Il s’agit des Maï-Maï Mazembe, un nom octroyé par la population à la suite d’une bataille durant laquelle ils ont « dribblé » l’ennemi comme les joueurs du célèbre club de football congolais, le Tout Puissant Mazembe.
Muyisi Ousama dit être en contact avec la plupart des groupes armés de la région et disposer de milliers d’hommes et d’armes qu’il se refuse à montrer. Allié aux Corps du Christ, il se revendique lui aussi en mission au service de « forces surnaturelles », joue au professionnel de la guerre mais évolue dans une division d’amateurs, snobé par les responsables militaires de Kinshasa sereins tant ils savent comment manipuler ces groupes à des fins politiques ou économiques.
Mais les Maï-Maï Mazembe et les Corps du Christ préoccupent les cadres sécuritaires locaux et surtout les responsables d’une force de l’ONU critiquée par la population locale qui constatent que la popularité de ces nouveaux groupes grandit. A Beni et à Butembo, ils ont été acclamés par la foule lorsqu’ils ont défilé.
« Messages divins »
Et si, à leur insu, les Maï-Maï Mazembe et les Corps du Christ n’étaient que des marionnettes d’un pouvoir politique qui chercherait à empêcher la tenue d’élections en fabriquant le désordre ? Telle est la certitude d’un agent de renseignement local assez précis sur la coordination, pensée par des hauts responsables de l’armée congolaise, selon lui, entre ces deux groupes qui ont mené des opérations conjointes.
Une thèse partagée par un diplomate coutumier de la région. « Si ta femme décède et que ton voisin est plus préoccupé que toi, il y a un problème, lâche-t- il. Pourquoi ces nouveaux groupes sont soudainement si préoccupés que ça par des massacres en dehors de leurs zones, comme à Beni ? » Mais peut-être ce diplomate reste-t-il insensible aux « messages divins » reçus par ces drôles de « prophètes » mués en rebelles et apprentis politiciens.
Muyisi Ousama s’en défend. Il cite des grands révolutionnaires et même Laurent-Désiré Kabila qui avait entrepris, avec sa rébellion, une longue marche de l’est vers Kinshasa pour renverser Mobutu Sese Seko et s’emparer du pouvoir, il y a vingt ans. Sauf que le père de l’actuel président, assassiné en 2001, avait le soutien de puissances régionales comme le Rwanda, l’Ouganda et l’Angola.
Muyisi Ousama, lui, n’a pas de quoi se payer le taxi. Les esprits lui ont ordonné de faire la guerre, mais ne l’ont pas aidé à s’enrichir. A ses côtés, son adjoint, l’ancien militaire Augustin Mayonga, 52 ans, martèle que cette fois c’est la bonne, qu’il est venu le temps de la revanche des « enfants du terroir ». Quel est le nom de ce mouvement réunissant des milices locales sous leurs ordres ? « Notre coalition s’appelle Mouvement national pour la… libération. Euh non, pour la révolution, Mouvement national pour la révolution et ne soyez pas surpris si Muyisi Ousama devient ministre ou président. »
Par Joan Tilouine (le monde.fr)