Inquiet, l’épiscopat catholique, médiateur dans les pourparlers de sortie de crise en RD Congo, fait le constat de l’impasse politique. Timide circulation automobile, commerces fermés, atmosphère de dimanche matin, présence policière renforcée par endroits, etc. Le centre de Kinshasa faisait grise mine en ce début de semaine, suite à l’appel de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) à une « ville morte », en protestation contre l’échec des pourparlers entre la majorité présidentielle et l’opposition, réunie, pour l’essentiel, au sein du Rassemblement. À travers la Conférence épiscopale du Congo (Cenco), l’Église catholique, institution respectée en RDC, s’est impliquée dans la recherche d’un accord devant permettre au pays d’organiser, dans un climat apaisé, les élections prévues à la fin de l’année.
Mais l’accord, conclu le 31 décembre 2017, à l’issue de plusieurs semaines de laborieuses négociations, tarde à être exécuté. Le diable est dans les détails : « l’arrangement particulier » censé définir, étape par étape, la mise en œuvre de ce compromis n’a pas été finalisé. Les uns et les autres campent sur leurs positions. Face à cette situation, la Cenco a mis un terme à sa médiation. L’abbé Donatien Nshole, secrétaire général de la Cenco et porte-parole des évêques, était au cœur de ce dispositif. Il s’exprime ici sur ce blocage qui inquiète des millions de Congolais et fait monter la tension dans le pays.
Le Point Afrique : Quel est le bilan de la médiation de la Cenco qui a échoué à faire aboutir l’arrangement particulier ?
Abbé Donatien Nshole : Échec ? Hum… Oui et non. L’accord a été signé et pour ce qui est de l’arrangement particulier, beaucoup de choses sont acquises. L’échec, si échec il y a, concerne les deux points de divergences pour lesquels les principes sont déjà acquis dans l’accord. Par rapport à cela, on a constaté l’intransigeance de chacune des parties. Et la mission de la Cenco n’étant pas l’arbitrage, encore moins de dicter un accord, elle ne pouvait faire mieux que de proposer des solutions médianes. Il suffit que les uns et les autres soient un peu plus responsables pour que l’on boucle tout. La Cenco a pris ses responsabilités et fait des propositions concrètes. Elle aurait sûrement échoué si elle s’était contentée de constater les divergences. Elle a fait plus que cela, mais elle n’a pas été écoutée.
Quels sont les deux points sur lesquels les discussions ont achoppé ?
Le point le plus important du blocage est le mode de désignation du Premier ministre. La majorité présidentielle accepte le principe que le Premier ministre soit présenté par le Rassemblement, mais sur la base d’une liste d’au moins trois personnes. À l’inverse, pour le Rassemblement, il n’est pas question de proposer le nom de plus d’une personne pour ce poste, parce que c’est le Rassemblement qui désigne le Premier ministre. À un moment donné, un évêque a évoqué la pratique de l’Église. En effet, pour la nomination des évêques, le Saint-Siège demande aux diocèses une liste d’au moins trois personnes, selon l’ordre de préséance. On pensait que cette pratique pourrait inspirer la classe politique, mais le Rassemblement considère que tout recours à une telle solution s’écarterait de l’accord du 31 décembre. Le Rassemblement exploite l’article qui dit que le Premier ministre est présenté par le Rassemblement, alors que la majorité présidentielle exploite un autre article du même texte qui dit que le mode de désignation du Premier ministre doit faire l’objet de négociations dans l’arrangement particulier. Chaque camp a une position tranchée et en fait une ligne rouge. La médiation a fait une proposition médiane, selon laquelle le Premier ministre est nommé par le président de la République, au terme de consultations avec le Rassemblement. Cette formulation a l’avantage de départager les deux camps.
L’accord du 31 décembre est victime de ses propres contradictions…
Je ne vois pas de contradictions. Plusieurs Églises se disent chrétiennes et défendent la Bible. Mais chacune d’elles fait une lecture de la Bible selon sa propre idéologie. Cela ne veut pas dire que la Bible est contradictoire. En réalité, chacun tire la couverture de son côté. C’est juste une question à la fois d’interprétation et d’intérêt.
Serait-il envisageable de faire machine arrière pour rentrer dans le schéma de l’accord conclu en octobre sous la houlette d’Edem Kodjo, qui a assuré la « facilitation » au nom de l’Union africaine ?
Je ne crois pas que cela soit possible. Un autre accord a été signé, avec une valeur ajoutée. Par exemple, le fait que les parties prenantes s’engagent à ne pas toucher à la Constitution, ni par voie référendaire, ni par voie parlementaire, constitue une nouveauté. Le fait qu’on ait clairement dit que le chef de l’État ne se représentera pas est un acquis de cet accord. Et cela n’a pas posé de problème lors de l’élaboration de l’arrangement particulier.
Comment voyez-vous l’issue de cette crise ?
À mon avis, la chose est relativement simple s’il y a la bonne volonté des acteurs. À ce stade, la Cenco ne voit plus ce qu’elle peut encore faire. On a discuté sur les deux points de blocage pendant environ trois mois, sans aucune avancée significative. La Cenco a fait des propositions. Les évêques ont estimé que cela ne servait pas à grand-chose qu’ils laissent leurs brebis dans les diocèses pour attendre indéfiniment des gens qui ne comprennent pas ce qu’ils doivent faire. Quand les évêques sont allés rencontrer le chef de l’État pour lui faire un rapport sur l’évolution des travaux, ce dernier a demandé si les évêques avaient formulé des propositions de sortie de crise. Le président a estimé que 98 % du travail avait été fait et qu’il pouvait, lui, obtenir facilement les 2 % restants, en partant des propositions des évêques.
Quelles sont ces propositions ?
La première concerne le mode de désignation du Premier ministre et la deuxième le choix du président du Conseil national de suivi des accords (CNSA). L’accord dit que c’est le président du conseil des sages du Rassemblement qui est le président du CNSA. Mais il est vrai que pour y arriver, on avait cherché ce qu’on pouvait donner au patriarche Étienne Tshisekedi. Les délégués de la majorité avaient clairement dit que si ce point ne se rapportait pas à la personne de Tshisekedi, ils n’auraient pas cédé. Malheureusement, dans l’accord, il n’a pas été fait mention du fait que cette disposition était intuiti personae, et que ce poste a été attribué à la fonction (président du comité des sages). Aujourd’hui, les uns s’en tiennent à la lettre de l’accord, tandis que les autres s’en tiennent à son esprit. La proposition médiane de la Cenco est celle-ci : « Compte tenu de la lettre de l’accord, que ce poste revienne au Rassemblement ; compte tenu de l’esprit de l’accord, la personnalité du Rassemblement qui assumera cette charge doit faire l’objet d’un consensus. »
De quel Rassemblement parlez-vous, sachant qu’il existe désormais deux ailes rivales du Rassemblement, l’une dirigée par Joseph Olenghankoy et l’autre par Félix Tshisekedi ?
Que je sache, il n’y a pas deux Rassemblements, mais deux courants en son sein, autour de la question du CNSA. J’ai parlé avec Olenghankoy, et il ne se dit pas président du Rassemblement. Pour nous, la personne qui engage le Rassemblement auprès de la Cenco est Félix Tshisekedi. N’empêche, nous sommes conscients qu’il y a un courant au sein de cette coalition qu’il doit gérer. Nous recevons les membres de l’autre courant. L’Église tente même de les aider à refaire leur unité.
Le président Kabila consulte avant l’adresse qu’il fera prochainement devant les deux chambres du Parlement. Que doit-il dire, selon vous, pour que la situation s’apaise dans le pays d’ici à la tenue des élections tant attendues ?
On ne dicte pas au chef de l’État ce qu’il doit dire. Néanmoins, ce que nous attendons de lui, c’est qu’il prenne la mesure de la situation. Ces tergiversations politiques affectent immédiatement l’économie congolaise qui sombre à un rythme inquiétant. La population souffre. Il sait, mieux que nous, que tant qu’on n’aura pas un gouvernement issu de l’accord du 31 décembre, les partenaires économiques seront méfiants et la situation sera davantage malheureuse. Je crois qu’il ne va pas dire : « Ce n’est pas mon affaire, c’est le Rassemblement qui bloque ! ». Il y a là une responsabilité réelle et nous souhaitons qu’il en prenne conscience. Et que sa communication soit dans ce sens.
Cela paraît un peu paradoxal… Le président Kabila n’est pas exempt de tout reproche dans cette crise. Il en est même en partie responsable – les autres aussi. Les élections ne se sont pas tenues dans les délais et son camp s’évertue à bloquer la machine…
C’est vous qui constatez cela. Mais nous savons, quant à nous, qu’il a la solution. Il a tous les moyens de décanter la situation aujourd’hui.
Quand vous l’avez rencontré, a-t-il évoqué la possibilité d’organiser un référendum pour modifier la Constitution afin qu’il soit autorisé à rempiler ?
Jamais il n’a tenu ce discours. Bien au contraire, il s’en tient au strict respect de la Constitution, pour ce qui est notamment des articles verrouillés. Il était clair qu’il n’avait pas l’intention de se présenter à la prochaine présidentielle, comme cela est dit dans l’accord. J’entends des choses que j’entends dans les médias, mais je me demande d’où elles viennent, quand le président lui-même dit le contraire.
Une chose est de dire, une autre est de faire. Ses actes semblent en léger décalage par rapport à son discours…
Pour le moment, le blocage concerne les deux points que l’on connaît. Le reste de l’accord n’est pas mis en cause. En tout cas, pas par lui, officiellement. Pour le reste, on verra bien. Ce qui paraît certain, c’est que d’ici à la fin de l’année, l’électorat sera convoqué pour la présidentielle. On verra à ce moment-là s’il sera candidat ou pas.
(Le Point 05/04/17)