Le président de la République, Félix Tshisekedi, a fait, vendredi en Conseil des ministres, un constat
amer sur l’administration de la justice en République Démocratique du Congo, critiquant le mauvais
rendement des magistrats. « Chaque jour, dans tous les coins du pays, le peuple assiste abasourdi
scandaleusement à des actes ou comportements de certains acteurs judiciaires ainsi qu’à des actions
ou décisions judiciaires, à la limite du hasard et de la théâtralisation de la Justice, creusant davantage
la méfiance devenue légendaire entre le peuple et la Justice », a indiqué le président Tshisekedi cité
par le porte-parole du Gouvernement.
Cette prestation du chef de l’Etat, comme on pouvait bien s’y attendre, a nourri une flopée de
réactions au sein de l’opinion nationale. Dans l’ensemble, l’on déplore que le Garant de la Nation et
du bon fonctionnement des institutions lâche des larmes. Quelle devrait être alors l’attitude des
administrés ? N’est-ce pas la dépression, car « abandonnés » à leur triste sort, face à des magistrats
et juges dont la seule préoccupation est le lucre.
La cour de Fatshi en cause
Accusés, ces derniers n’ont nullement placé leur langue dans la poche. En réaction au « procès » leur
intenté par le chef de l’Etat, des magistrats contactés ont vomi la vérité : « C’est bien de s’en prendre
au rendement des magistrats. Mais le Garant de la Nation et du bon fonctionnement des Institutions
nous faciliterait énormément la tache en rappelant à l’ordre tous ces responsables politiques et
militaires dont les membres de son Cabinet qui ont la mauvaise habitude d’interférer dans notre
travail, au mépris et en violation de l’indépendance de la justice pourtant consacrée par les textes”,
se plaint un membre du Syndicat des magistrats non sans requérir l’anonymat.
“Il n’y a pas que les interférences, intimidations et autres trafics d’influence. Il y a aussi les mauvaises
conditions de travail”, ajoute un autre magistrat abordé mardi au Tripaix de Kasavubu, s’exprimant,
lui aussi, sous couvert de l’anonymat.
Ces accusations à charge notamment des conseillers du président de la République ont suscité la
réaction du député national Auguy Kalonji. « Je ne suis pas d’accord quand les magistrats disent qu’il
y a des intimidations et le trafic d’influence de la part de certains conseillers de la Présidence. S’ils le
disent, c’est-à-dire qu’ils connaissent de qui il s’agit. Ils n’ont qu’à les dénoncer. Le président de la
République leur a dit plusieurs fois que chaque fois qu’il y aura un Conseiller qui va essayer d’user de
sa position pour marcher sur la justice, arrêtez-le ou dénoncez-le ! Mais nous n’avons jamais entendu
qu’un Conseiller ou qui que ce soit a été dénoncé par un magistrat”, tempête cet élu du peuple
appelant tout le monde à rectifier le tir.
Pour lui, ce cri d’alarme du président de la République devrait interpeler tout le monde. “Ce n’est
plus le temps de se justifier mais c’est le temps de corriger ce qui ne va pas et c’est le temps de
travailler pour que les choses avancent. Le peuple souffre à partir de mauvaises décisions que parfois
la justice rend en défaveur du petit peuple pour privilégier certaines autorités ou ceux qui ont plus
des moyens”, renchérit-il.
Tout en appelant le président de la République à ses responsabilités, Maître Jean-Claude Katende,
président de l’association congolaise de défense des droits de l’homme -ASADHO- prie, pour sa part,
les magistrats à brandir l’indépendance que leur assure la Loi pour refuser de faire droit
à toute sollicitation non éthique, sinon à démissionner s’ils trouvent l’environnement hostile.
« Je crois personnellement que les magistrats ont tort de dénoncer le trafic d’influence, intimidations
et interférences dans la mesure où la loi leur garantit une certaine indépendance. Et dans le cas de la
situation que nous connaissons en République Démocratique du Congo, ils doivent se montrer un
peu courageux. Mais dans la plupart de cas, ces magistrats, qui soi-disant, dénoncent les
interférences, les intimidations et les trafics d’influence, veulent rester dans leur confort à Kinshasa
et c’est la raison pour laquelle ils ne veulent pas dénoncer ou refuser d’obéir à ces intimidations ou
trafics d’influence ».
Le peuple abandonné
Ce bing bang entre les politiciens et les magistrats ruine dangereusement le sort du petit peuple dont
l’intérêt est sacrifié sur l’autel des intérêts sournois. On en veut pour preuve, l’élargissement des
détourneurs de plusieurs millions de dollars alors que les routes, l’eau potable, l’électricité…sont
hors de portée de la masse et freinent le développement du pays. C’est pourquoi Jean-Claude
Katende a le sentiment qu’il faut le plus plaindre le peuple dans cette situation. « Parce que, vous
savez bien que moi, la justice est rendue au nom du peuple congolais. Ça veut dire, en d’autres
termes, que mêmes les jugements iniques qui sont rendus, c’est en notre nom. Ça veut dire que
nous, le peuple, devons surveiller les magistrats et les juges, suivre les décisions qu’ils rendent en
notre nom de sorte que si ces décisions ne sont pas conformes aux lois, à la justice et au bon sens,
nous pouvons les dénoncer ou organiser des marches pour dénoncer ce genre des magistrats ou des
juges », explique-t-il.
Quelles qu’en soient les raisons, le président de l’ASADHO soutient que la débâcle de la justice
incombe dans une large mesure au Chef de l’État. « Le président de la République est lui-même la
personne qui nomme et relève en dernier ressort les magistrats ; c’est sa responsabilité », assène-t-il
en définitive.
LR