Le dossier Moïse Katumbi est «bidon, c’est une mascarade»

Moïse Katumbi

Quelle est la vraie nationalité de l’opposant congolais Moïse Katumbi ? Le 27 mars, la justice de Kinshasa a ouvert une information judiciaire pour « usurpation de nationalité ». Aujourd’hui, Eric Dupond-Moretti, l’avocat français de l’ancien gouverneur du Katanga, contre-attaque. « Acquittator », comme le surnomme la presse française, répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Présumée spoliation immobilière, présumé recrutement de mercenaires, présumée nationalité italienne, votre client Moïse Katumbi est visé par trois actions judiciaires. N’est-ce pas beaucoup pour un candidat qui veut déposer un dossier de candidature à la présidentielle ?

Eric Dupond-Moretti : Ce sont trois dossiers dont on peut dire qu’ils sont totalement bidonnés. Le premier dossier : une juge [Chantal Ramazani Wazuri] qui a prononcé la décision est venue se réfugier en France et a raconté devant un huissier de justice qu’elle avait été menacée, une arme sur la tempe, pour faire condamner Moïse Katumbi.

Pour spoliation immobilière.

Pour une histoire de spoliation immobilière totalement inventée. En appel, un autre juge [Jacques Mbuyi] s’est fait tirer dessus et s’est réfugié en Afrique du Sud. Comment disiez-vous tout à l’heure : est-ce que ça ne fait pas un peu beaucoup ? Ensuite l’histoire des mercenaires : là aussi, on a une espèce de tour de passe-passe qui est fabuleux. On a décalé dans le temps cette histoire. On l’a fait remonter à l’époque où Moïse Katumbi était gouverneur du Katanga de telle sorte qu’il doit être alors directement jugé par la Cour suprême, ce qui a pour le pouvoir un seul avantage, c’est de le faire condamner défi nitivement avant le dépôt des candidatures. La manipulation est claire comme de l’eau de roche. Ça ne résiste à aucun examen sérieux, c’est une instrumentalisation du pouvoir judiciaire à des fi ns politiques, voire politiciennes.

Sur cette affaire de présumé recrutement de mercenaires, la justice congolaise explique que, comme il a été gouverneur et comme les faits imputés remontent à l’époque où il était gouverneur, Moïse Katumbi doit être jugé devant la Cour suprême…

Mais la manipulation, elle est là. A l’origine, la justice disait que cette histoire de mercenaires, c’était une affaire qui se « serait » déroulée postérieurement au moment où Moïse Katumbi était gouverneur.

Vous faites référence aux documents des services de l’Agence nationale de renseignements (ANR) ?

Il n’y a pas que cela. Donc on disait, cette histoire de mercenaires, c’est 2015. Ils ont concocté la manipulation suivante : ils ont replacé ces faits, qui d’ailleurs n’ont pas existé, en 2014. Et c’est ce que je vous ai expliqué tout à l’heure, Moïse Katumbi étant alors gouverneur, il doit être jugé devant la Cour suprême, comme ça on squeeze un degré de juridiction, mais surtout on rend une décision dans les semaines à venir avant le dépôt des candidatures. CQFD.

Alors en effet, selon le greffe du tribunal de Kinshasa, l’audience sur cette affaire de mercenaires est fi xée au 26 ou au 27 juin…

Parce que c’est une date parfaite pour le pouvoir. Comme ça, le 26 ou 27 juin, il sera condamné défi nitivement, parce que moi, je peux vous l’écrire, c’est une condamnation, c’est clair, c’est net et c’est précis. C’est le but de la manœuvre. Et alors à ce moment-là, on dira : mais monsieur Katumbi ne peut plus se présenter à l’élection présidentielle.

Est-ce que vous irez à cette audience du 26 juin à Kinshasa ?

Si on m’accorde un visa, pourquoi pas. C’est intéressant de pouvoir regarder comment fonctionne la justice. C’est une garantie de la justice démocratique, le fait qu’elle soit publique. Maintenant, je ne sais pas si on m’autorisera à y aller. Moi j’aimerais beaucoup m’y rendre, avec des observateurs internationaux. Et on verra que ce dossier, comme le précédent d’ailleurs, est un dossier totalement bidon. Je reprends le mot des évêques, c’est une « mascarade ».

La troisième action judiciaire qui est lancée contre Moïse Katumbi, c’est celle qui concernerait une éventuelle nationalité italienne de votre client. Sur la foi d’un document administratif, produit par une commune italienne, le procureur général de la République vient d’ouvrir une information judiciaire à charge contre Moïse Katumbi…

D’abord, je veux dire quelque chose : si c’était si simple que cela, si Moïse Katumbi était Italien, ce n’est pas la peine d’aller monter deux affaires complètement bidon.

Sauf que l’affaire de la nationalité italienne, elle est activée par la justice congolaise depuis seulement quelques semaines…

Non, non, non. On en parle depuis bien plus longtemps. Vous savez, on essaie tout : on essaie la nationalité, l’histoire immobilière, l’histoire des mercenaires. L’histoire des mercenaires, on sait que c’est totalement bidon. L’histoire immobilière, on le sait également parce que, sinon ce n’est pas la peine d’aller mettre un pistolet sur la tempe du juge.

Vous parlez de la juge Chantal Ramazani Wazuri.

Exactement. Maintenant les autorités judiciaires ont une troisième piste, c’est cette histoire de nationalité. Et c’est ridicule et je vais vous dire pourquoi c’est ridicule, parce que Moïse Katumbi a gagné trois élections. C’est clair, net et précis. Et il aurait donc gagné ces élections en étant Italien. Cela fait rire la communauté internationale dans son ensemble.

Vous parlez des élections aux postes de député provincial, député national et gouverneur du Katanga, c’est ça ?

Exactement. Qui ont été avalisées par la présidence. Cela fait sourire aujourd’hui qu’on essaie… Vous avez compris, la chose est extrêmement simple : tout sera fait pour que Katumbi ne puisse se pré- senter.

Cela dit, notre confrère Jeune Afrique a produit un document d’une commune italienne de la province des Pouilles qui atteste que Moïse Katumbi a été Italien de 2000 à 2017.

Je vais vous communiquer dans les semaines à venir un certain nombre de documents qui établissent très clairement que la nationalité de Moïse Katumbi, sans contestation possible, est la nationalité congolaise. Maintenant, il y a tout un tas de faux, de faux témoignages, de juges menacés, de juges sur qui l’on tire, etc. Tout cela, je le redis, c’est à des fi ns politiques. J’ajoute d’ailleurs que l’ONU, le comité [des droits de l’homme] de l’ONU nous avait rendu une décision qui faisait obligation à l’Etat d’assurer la sécurité de Moïse Katumbi, de ne pas l’incarcérer de façon arbitraire, de le protéger en vue d’un processus démocratique à venir. Et la RDC a jeté ce document à la poubelle. Je ne peux pas dire autre chose. Donc nous allons, dans les jours à venir, ressaisir, dans le cadre d’un complément de communication, le Comité de l’ONU. Et nous allons faire mieux, nous allons saisir la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Je sais que la RDC n’a pas ratifi é la charte africaine des droits de l’homme. Mais tout de même, il faut que la communauté internationale sache comment on instrumentalise une justice aux ordres pour que Moïse Katumbi ne participe pas au processus démocratique qui doit normalement s’ouvrir, qui d’ailleurs aurait dû s’ouvrir depuis belle lurette.

Ce document produit par l’administration italienne, il est authentique ou il est faux ?

Je n’en sais rien. Moi, je vais vous donner un certain nombre de documents dans les semaines à venir qui règlent défi nitivement cette question. Et les documents que je vais fournir, je pense que la RDC les connait déjà.

Mais concrètement, entre 2000 et 2017, votre client était Congolais ou Italien ?

Il était Congolais, il a été élu en tant que Congolais. Ces élections ont été validées parce qu’il était Congolais. Si moi, je me pointe en RDC, est-ce que vous pensez sé- rieusement que je peux me faire élire ? Et s’il y avait cette question de la nationalité italienne aussi claire que cela, est-ce que vous pensez qu’on aurait besoin d’inventer deux affaires judiciaires bidon ?

Mais simplement en voyageant, peut-être certaines fois, avec un passeport italien, est-ce que votre client n’a pas donné des verges pour se faire battre ?

Je vous dis, mais vous ne voulez pas l’entendre, que, dans les semaines à venir, cette question sera défi nitivement réglée. Vous produirez de nouveaux documents ? Bien sûr.

Propos recueillis Par Christophe Boisbouvier/RFI