Fausses notes entre Kabila et l’opposition

D’aucuns l’auront bien noté. Lundi soir dans son allocution, le président Joseph Kabila a fermé la porte à une médiation étrangère pour le dialogue national. Cette médiation onusienne était pourtant une condition posée par l’opposition de l’UDPS pour participer à ce dialogue. L’UDPS reste donc sur sa position. Pour son porte-parole Bruno Tshibala, il n’est pas question d’aller au dialogue sans une médiation internationale : « C’est M. Kabila, qui en présence du secrétaire général des Nations unies, a signé le 24 février 2013 l’accord d’Addis Abeba. Cet accord dit clairement qu’il appartient au représentant spécial du secrétaire général des Nations unies d’offrir ses bons offices en vue de promouvoir un dialogue réunissant les parties congolaises, en vue de favoriser la tenue d’élections apaisées en RDC

Pour l’instant, la candidature ou non de Joseph Kabila à la présidentielle de novembre 2016 n’est pas, ou plus, au cœur du débat. Pour le pouvoir, la question est inopportune et inactuelle. Pour l’opposition, elle ne s’est jamais posée puisque inenvisageable. Joseph Kabila, lui, n’en dit mot, convaincu que s’il s’exprime dans un sens ou dans l’autre le pays deviendra vite ingouvernable. Si le chef de l’Etat a eu la bonne idée d’ouvrir à la fin de mai un dialogue national avec ce qu’il est convenu d’appeler les forces vives de la nation – auquel l’opposition radicale a décidé de ne pas participer – c’est donc pour parler d’autre chose. En l’occurrence, du calendrier électoral proposé par une Commission électorale nationale indépendante de 13 membres (6 nommés par le pouvoir, 4 par l’opposition, 3 issus de la société civile) et dont le président, l’abbé Malumalu, souvent absent du pays ces temps-ci pour raisons de santé, est crédité d’avoir organisé en 2006 les meilleures élections qu’ait connues le Congo depuis l’indépendance. Aux yeux de l’opposition, ce chronogramme très serré qui prévoit de tenir une demi-douzaine de scrutins provinciaux, locaux et communaux avant la présidentielle et les législatives, le tout en dix-huit mois, avec un fichier toiletté et au coût estimé à plus de 1 milliard de dollars, est inapplicable. Sauf à imaginer – le climat de défiance est tel à Kinshasa qu’il s’agit là d’une certitude pour les anti-Kabila – que le pouvoir cherche à faire déraper le calendrier au-delà de 2016, un « glissement » dit-on ici, forcément conflictogène. Dans son bureau de ministre de l’Intérieur, Évariste Boshab, s’insurge contre cette « vision paranoïaque des choses ». Pour l’ancien secrétaire général du PPRD, « il faut terminer le cycle électoral de 2011 et organiser, au minimum, les provinciales d’où sont issus les gouverneurs et les sénateurs. Pour les populations, l’élu local est plus important que le président de la République, surtout quand on vit à mille kilomètres de Kinshasa ».

En arrière-plan se dessine un rapport des forces plus complexe qu’on le croit souvent. L’opposition congolaise, pour pugnace qu’elle soit, est minée par ses querelles de leadership et l’incapacité de certains de ses leaders à passer la main. Le « líder máximo » Étienne Tshisekedi a 82 ans, le modéré Kengo wa Dondo, président du Sénat, 80 ans, et Jean-Pierre Bemba maintient ce qui reste de son parti en apnée depuis sa cellule de la prison de Scheveningen, en attendant l’ouverture de son procès prévue pour le 29 septembre prochain. Quant à Vital Kamerhe, qui fut le seul de ce quatuor à jouer un rôle et à prendre des risques lors des troubles de la fin du mois de janvier à Kinshasa, il est sans cesse sommé d’apporter la preuve de sa sincérité, face à des partenaires qui lui rappellent en permanence son passé d’attaquant de pointe du kabilisme. Aux côtés de ces poids lourds, qui disposent dans la capitale, mais aussi à l’intérieur du pays, d’une capacité de mobilisation certaine sur fond de fracture est-ouest ouverte lors des élections de 2006 et jamais refermée depuis, se tient toute une cohorte de francs-tireurs embusqués, parfois au sein même de la mouvance présidentielle.

Choc des ego et des ambitions

Même s’il est le seul à pouvoir revendiquer une implantation nationale, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), la formation de Joseph Kabila, n’est guère en meilleure forme. Son nouveau secrétaire général, Henri Mova Sakanyi, 52 ans, un universitaire reconnu, auteur d’une thèse sur « L’Ordre de Yalta à l’épreuve de la mondialisation », qui fut militant des droits de l’homme sous Mobutu, parolier de chansons patriotiques, ministre puis ambassadeur, hérite d’un parti au sein duquel l’on signale des « mauvaises humeurs ». « Mon objectif : recoller aux masses, rassembler les forces du régime », explique –t-il. Vaste tâche, tant les ego et les ambitions, ici aussi, s’entrechoquent. À commencer par ceux du président de l’Assemblée, Aubin Minaku, et du Premier ministre, Augustin Matata Ponyo. Dommage, car ils sont complémentaires. Le premier est un fin politique, qui n’a pas hésité à faire entendre sa différence lors de la crise de janvier en critiquant sur Twitter l’intervention musclée de la police et en désavouant le projet de loi électorale subordonnant l’élection présidentielle à l’achèvement du recensement général de la population. Tout en assurant de sa loyauté envers le chef, ce brillant magistrat de 50 ans, originaire du Bandundu, ancien élève des jésuites, se dit « prêt à assumer n’importe quelle fonction dans ce pays ». Le second est un gestionnaire compétent qui, quoi qu’on en dise, n’est pas pour rien dans le fait que le régime Kabila II soit le plus efficient en termes de reconstruction et de résultats macroéconomiques que le Congo ait connu en près de quarante ans. Certes, les inégalités sociales, le niveau des salaires réels, l’accès au marché du travail et le taux de corruption demeurent préoccupants, mais l’hôte à cravate rouge de la primature, qui vient de conclure un partenariat avec l’université Harvard et fait auditer son cabinet par KPMG, préfère parler parcs agro-industriels, mégabarrage d’Inga III, inflation à 1 %, guichet unique, baisse du taux de pauvreté et création de mille écoles. Au moins y a-t-il quelque chose de consistant à mettre du côté positif de la balance, du rarement vu en RD Congo depuis des lustres.

Pouvoir comme opposition, chacun doit composer avec cette troisième force hors système qu’est la société civile. Si les Églises kimbanguiste et protestante sont considérées comme favorables à l’actuelle majorité, la puissante Église catholique, elle, a son propre agenda politique. En 2006, le cardinal-archevêque de Kinshasa, Frédéric Etsou, avait ouvertement pris position pour le candidat Jean-Pierre Bemba. Une décennie plus tard, son successeur, Laurent Monsengwo, souffle le chaud et le froid : proche de Léon Kengo wa Dondo, il participe au dialogue engagé par le président ; conciliateur au-dessus de la mêlée, il laisse la conférence épiscopale prendre fait et cause pour les émeutiers de janvier et la très médiatique poignée de jeunes activistes néocitoyens de Filimbi et de Lucha. La proximité de ces derniers, dont les mésaventures ont défrayé la chronique en janvier, avec les chancelleries occidentales et tout particulièrement l’administration américaine agace l’ambassadeur Séraphin Ngwej, conseiller diplomatique de Joseph Kabila : « La communauté internationale ne dit rien à Kagamé ou à dos Santos, rien aux pays du Golfe ou à la Chine, mais elle se complaît dans le Congo bashing. » Nul doute que les énièmes leçons de gouvernance dispensées au début de juin par un émissaire américain de passage (le secrétaire d’État adjoint à la Démocratie et aux Droits de l’homme Tom Malinowski), lequel venait d’ailleurs de Brazzaville où il a décliné le même message, n’ont fait que renforcer ce sentiment. Un deux poids, deux mesures qui n’est pas pour rassurer les Kabilistes.

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