Parmi les nombreux chantiers qui attendent le nouveau chef de l’État congolais figurent la question sécuritaire et le contrôle de l’armée. Mais cette tâche s’annonce délicate car Joseph Kabila y a encore ses hommes.
Selon plusieurs spécialistes des questions sécuritaires de la RDC, le contrôle de l’armée et les questions sécuritaires constituent le chantier numéro 1 du nouveau président. Car, estiment-ils, pour diriger ce pays-continent, il faut d’abord contrôler l’armée.
L’ombre de Kabila plane toujours
Or, on le sait, celle-ci est toujours fidèle au président sortant. Avant de quitter le pouvoir, Joseph Kabila a d’ailleurs procédé, l’été dernier, à une vague de nominations à des postes stratégiques au sein de l’armée, de la police et des services de renseignement.
Le général Célestin Mbala Munsense a été promu chef d’État-Major des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC). Tandis que le général John Numbi, frappé par les sanctions américaines, a été nommé inspecteur général de l’armée. Quant aux généraux Amisi Kumba alias Tango Four et Delphin Kahimbi, ils s’occupent des renseignements militaires.
« L’armée est contrôlée par le clan Kabila. Et c’est une armée qui a été déstabilisée à dessein avec beaucoup de milices qui se combattent. Ça fait partie du deal que le nouveau président a signé avec l’ancien pour dire : tu me donnes les rênes du pouvoir mais certains attributs restent sous ton contrôle. Et il y a entre autres le contrôle de l’armée, de la police, mais aussi des services secrets », explique Boniface Mabanza Bambu, le coordonnateur de la KASA, une ONG chrétienne basée à Heidelberg, en Allemagne.
Inquiétudes
Cet état de fait inquiète de nombreux analystes. Surtout que si le président Félix Tshisekedi n’arrive pas à avoir d’ascendant sur l’armée et les services de sécurité, il pourra difficilement empêcher les violences.
Stéphanie Wolters de la division Paix et sécurité à l’ISS, l’Institut d’études de sécurité de Pretoria, en Afrique du Sud s’interroge.
« Qu’est-ce qu’il fera [Félix Tshisekedi, ndlr] par exemple s’il y a une marche pacifique du camp de Fayulu ? Est-ce qu’il laissera faire ? Est-ce qu’il demandera à ses services de sécurité de tirer sur la foule ? Ce sont toutes sortes de questions comme ça qu’on se pose déjà. Et on verra ça dans les mois à venir ».
Autre interrogation : le président Félix Tshisekedi va-t-il parvenir à s’émanciper de Joseph Kabila, pour tenter de contrôler l’armée ? Pari risqué, car « Félix Tshisekedi » n’a pas d’alliés au sein de l’armée.
« Au moindre faux pas, ou s’il compte passer en force, il sera déposé par la force », nous a confié le politologue Didier Nkingu.
Changement dans l’appareil sécuritaire
Il faut noter que, malgré la collaboration sur des secteurs clefs comme l’armée et la sécurité, le 4ème alinéa de l’article 91 de la Constitution précise que « le Gouvernement dispose de l’administration publique, des forces armées, de la Police Nationale et de services de sécurité ». Donc, le Chef de l’Etat ne peut pas, de son propre chef, disposer de soldat ou de policier pour mener une quelconque opération, cela est de la compétence exclusive du Gouvernement en collaboration avec le Chef de l’Etat.
Quant au changement à la tête de l’armée, de la police et des services de sécurité, l’article 81 de la Constitution nous renseigne entre autre que « sans préjudice des autres dispositions de la Constitution, le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, sur proposition du Gouvernement délibérée en Conseil des ministres : (3) le chef d’état-major général, les chefs d’état-major et les commandants des grandes unités des forces armées ainsi que (2) les officiers généraux et supérieurs des forces armées et de la police nationale, le Conseil supérieur de la défense entendu ainsi que… ».
En somme, le Chef de l’Etat ne peut pas, de son propre chef, révoquer ou nommer un chef d’état-major général, les chefs d’état-major, les commandants des grandes unités, les officiers généraux ou supérieurs des forces armées ou de la police nationale. Cela doit découler obligatoirement d’une proposition du Gouvernement entendu en conseil des Ministres conduit ici, selon la logique légale, par le Premier Ministre qui sera issu de la majorité parlementaire, donc en cet instant du FCC.
Avec des telles contraintes légales, la marge de manœuvre quant aux promesses électorales du nouveau Chef de l’Etat concernant notamment la sécurité sera très étroite. Il est donc peu probable d’assister un démantèlement rapide de l’appareil sécuritaire mise en place par l’ancien de chef de l’Etat.
Risque de confrontation
Si, à titre illustratif, le chef de l’Etat nomme ou révoque, par mégarde, un nouveau Chef d’Etat-major sans attendre la proposition du gouvernement, il s’agira là d’un acte anticonstitutionnel synonyme de « haute trahison » comme le prévoit l’article 165 de la Constitution.
Quant à sa mise en accusation, le FCC aura les coudés franches vu que l’article 166 de la Constitution stipule que « la décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement ».
Il suffirait donc pour le FCC de réussir à faire élire 55 sénateurs à la prochaine élection sénatoriale pour constituer les deux tiers du parlement. Un exercice relativement facile au regard du score effectué par lui lors des élections provinciales, sachant que ce sont les députés provinciaux qui votent à l’élection sénatoriale…