Les controverses sur la Coupe d’Afrique des nations montrent que le football africain est encore en quête de respect, écrit notre chroniqueur, Jérôme Latta.
Reportée, menacée d’annulation, critiquée, la 33e Coupe d’Afrique des nations (CAN) a bel et bien débuté dimanche 9 janvier au Cameroun avec une victoire du pays hôte, où l’engouement ne fait pas plus de doute que l’intérêt du continent tout entier pour « sa » compétition.
Initialement prévue en juin 2021, une période adoptée lors de la précédente édition en Egypte, cette édition a été reprogrammée sur son créneau hivernal historique. Précisément celui qui a longtemps posé problème, et a de nouveau suscité soupirs et déplorations de la part des clubs européens.
A la fin de décembre, face aux critiques, l’international ivoirien Sébastien Haller a déploré un « manque de respect pour l’Afrique », l’ancien joueur anglais Ian Wright s’est demandé s’il existait « un tournoi plus méprisé » et l’ancienne star Samuel Eto’o, désormais président de la Fédération camerounaise, a piqué une colère.
Deux poids, deux mesures
L’entraîneur de Liverpool, Jürgen Klopp, avait plaidé le malentendu, en novembre 2021, pour l’emploi de l’expression « petit tournoi ». De fait, il ne se prononçait pas sur le prestige de la compétition, mais, ironiquement, sur son poids dans le calendrier.
Il y a un an, l’Allemand traduisait déjà le sentiment que cette CAN était la compétition de trop, en qualifiant son déplacement en janvier et février de « catastrophe pour nous, qui nous [fera] perdre trois joueurs ». De fait, les Reds sont actuellement privés de Sadio Mané (Sénégal), Mohamed Salah (Egypte) et Naby Keita (Guinée).
L’année d’une Coupe du monde en novembre, il est particulièrement déplacé de dénigrer une CAN en janvier. La CAF a même concédé la possibilité aux clubs de Premier League le droit de ne libérer les joueurs que le 3 janvier, six jours avant le début du tournoi. La veille de leur départ, Mané et Salah ont ainsi pu marquer dans le sommet contre Chelsea.
Les clubs se plaignent d’avoir trop d’internationaux, prétendent que ce sont les sélections qui épuisent « leurs » joueurs, pas eux, et préfèrent les laisser à celles-ci en fin de saison (exténués). Le calendrier dantesque de la Premier League en fin d’année ou la formule de Ligue des champions qui imposera cent matchs de plus à partir de 2024 ne suscitent pas leur ire…
On s’inquiète à raison des cadences imposées aux joueurs. Pour autant, la responsabilité de la saturation des calendriers étant partagée entre tous les organisateurs de compétitions, jouer le rapport de forces entre clubs et sélections est absurde – ou intéressé.
L’écrivain Mabrouck Rachedi est donc fondé à ironiser sur le « deux poids, deux mesures » qui prévaut pour la CAN, ses équivalents continentaux – Euro et Copa América – subissant moins de critiques. Disons que si les compétitions de sélections sont devenues les parents pauvres d’un football dominé par les compétitions de clubs, la CAN en est le cousin le plus pauvre.
L’Europe et l’Afrique
La compétition ravive aussi les débats autour des joueurs binationaux, en Europe et en Afrique, illustrant leurs liens croisés et complexes au travers de la diaspora africaine. Celle-ci a fourni des internationaux européens et, en retour, des internationaux africains. Il vaut mieux saluer cette réciprocité qu’en faire un problème des deux côtés de la Méditerranée.
Le football européen devrait en tout cas prendre son parti de la CAN, au lieu de lui faire un procès en légitimité et de culpabiliser les joueurs. La compétition n’a certes pas toujours bien défendu sa cause, avec son organisation parfois chaotique, ses conflits rituels à propos des primes des joueurs, les polémiques sur l’arbitrage ou les changements inopinés de sélectionneur.
« Pour être respecté, le football africain doit être respectable », a relevé le journaliste Smaïl Bouabdellah dans le joli guide de la compétition réalisé par Les Remplaçants. Son autonomie même reste à conquérir. La récente élection de Patrice Motsepe à la présidence de la CAF a illustré une crise institutionnelle profonde en même temps que les ingérences très politiques de la FIFA.
Le projet de Coupe du monde biennale poussé par cette dernière procède ainsi d’une stratégie électoraliste et prend le prétexte d’une revalorisation des sélections africaines pour obtenir le soutien de leurs fédérations – autant pour cette réforme que pour la réélection du président Gianni Infantino en 2023.
Patrice Motsepe s’est engagé à faire du « football africain le meilleur du monde ». Pour l’heure, il s’agit plutôt de faire respecter le droit de la Coupe d’Afrique des nations à réunir les meilleurs footballeurs africains devant un public africain.