Au cours d’un point de presse tenu le 24 mars 2016, Lambert Mende a réagi notamment sur les allégations de violation de la liberté d’expression de Denis Mukwege, le réparateur des femmes. Ci-dessous l’intégralité des propos du ministre de la Communication et Médias.
POINT DE PRESSE DU 24 MARS 2016
Mesdames et Messieurs de la presse, trois points feront l’objet de ma communication de ce jour : Les attentats de Bruxelles, le rapport d’enquête du GREC, et les allégations de violation de la liberté d’expression de notre compatriote le Dr Denis Mukwege de l’Hôpital de Panzi.
• Les attentats de Bruxelles
Le mardi 22 mars dernier, la barbarie aveugle du terrorisme a une fois de plus frappé, semant la mort et la désolation à Bruxelles. Après les massacres cycliques des Congolais que nous déplorons chaque jour dans le Grand Nord Kivu ; après les attentats de Paris de l’année dernière, de la Turquie, de la Tunisie, du Burkina-Faso, du Mali, du Nigéria, du Tchad et de Côte d’Ivoire cette année, c’est la Belgique qui vient d’être la cible d’actes terroristes avec des dizaines de victimes innocentes parmi lesquelles se trouvent quelques compatriotes, compte tenu de la proximité qui existe entre nos peuples.
Le Gouvernement condamne ces crimes que rien ne saurait justifier. Il exprime sa compassion et adresse au peuple frère de Belgique ses sincères condoléances.
La révolte que suscite en chacun de nous la multiplication exponentielle de ces tragédies humainement inacceptables et dont aucune région du monde n’est épargnée appelle la constitution rapide d’un front commun des nations civilisées. Un tel front commun contre la barbarie devrait se fonder sur un code standard des lois et règles communes destinées à rendre efficiente et efficace l’indispensable lutte contre ce fléau qui se nourrit de la complaisance, de l’obscurantisme, de l’anonymat et de l’irresponsabilité.
Il est assez désagréable pour nous de constater qu’en la matière, il existe malheureusement une floraison mal coordonnée de registres d’analyses, de définitions des situations et des modes opératoires face à ce fléau selon que l’on se trouve dans l’hémisphère Nord ou sous nos tropiques. Nous regrettons qu’à cet égard, que ce que l’on déplore et condamne à bon escient dans tous les pays du Nord fasse souvent l’objet de controverses, voire de complaisance en Afrique en général et en République Démocratique du Congo en particulier.
Ainsi, lorsque le Gouvernement congolais exige que, conformément aux usages observés partout ailleurs et aux lois en vigueur dans le pays, les usagers des téléphones cellulaires ainsi que toutes les personnes morales et ONG qui interagissent avec le public d’une façon ou d’une autre se fassent enregistrer, des donneurs de leçons s’agitent et accusent les autorités congolaises de brimer leurs concitoyens ou de restreindre les espaces des libertés fondamentales. Il en est de même chaque fois que des mesures exceptionnelles sont prises face à des situations menaçant gravement la sécurité dans notre pays, des mesures jugées banales sous d’autres cieux.
Le Gouvernement congolais estime qu’il s’agit pour lui de dispositions qu’il ne peut pas se permettre de ne pas prendre au risque de violer la législation nationale qu’il a le devoir de mettre en application. Car en définitive, il s’agit d’une obligation de précaution élémentaire.
Nous n’avons pas à attendre l’autorisation de je ne sais qui pour assurer la protection des populations vivant dans notre pays en les mettant à l’abri par de telles mesures des conséquences funestes de certaines dérives dès l’instant où le lien entre anonymat et criminalité ou le terrorisme est avéré.
Tout en respectant les fondamentaux de la vie privée et des droits individuels garantis par la Constitution, il nous appartient en tant qu’Etat, de mettre en œuvre un système qui permette de réduire les trop nombreux cas de crimes commis par des auteurs inconnus, c’est-à-dire par des individus ou des groupes d’individus qui, n’étant ni identifiables ni localisables, rendent impossible toute possibilité de prévention, de répression ou de réparation, et abandonnent au désespoir leurs victimes.
La liberté d’opinion et d’expression entendue comme le droit d’informer, d’être informé, d’avoir des opinions et de les communiquer sans aucune entrave quel que soit le support utilisé est garantie à toute personne par notre constitution et nos lois mais sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des droits d’autrui et des bonnes mœurs.
C’est uniquement sous cette réserve qu’il est affirmé qu’en matière de communication audiovisuelle ou écrite par exemple, la liberté est le principe et l’interdiction, l’exception. C’est également cette même réserve qui justifie, dans toutes les législations du monde, la responsabilité pénale et civile de l’auteur d’une communication.
C’est le sens qu’il faut donner au rappel par le Ministre de la Justice et des Droits Humains de l’option du Gouvernement de la République de mettre un terme à l’existence de groupes illégaux parce que non enregistrés par les services compétents de son administration.
• Le rapport d’enquête du GREC
La complaisance de quelques groupes d’intérêt à l’égard des groupes criminels sous nos tropiques transpire jusque dans certaines analyses produites par des africanistes autoproclamés qui semblent faire leur beurre dans la mauvaise image qu’ils répandent de notre pays. Le cas de cet ancien expert de l’ONU, Jason Stearns, aujourd’hui converti en chercheur dans un Centre de Coopération Internationale de l’Université de New-York, est emblématique à cet égard. En effet, dans un rapport publié lundi dernier et repris par Jeune Afrique, ce Monsieur s’est lancé dans une sorte de plaidoyer pour dédouaner les ADF des massacres commis à Beni en les imputant aux FARDC sous prétexte que certaines victimes des égorgeurs en action dans la région lui auraient déclaré avoir vu certains de leurs bourreaux ivres et les avoir entendu s’exprimer en Kinyarwanda et en lingala alors que lui, sieur Jason Stearns sait que les ADF ne boivent pas de bière et ne parlent aucune de ces deux langues !
Ce rapport d’une quarantaine de pages daté du 20 mars 2016 que le Groupe d’Etude sur Congo (GREC) a rendu public sur la situation sécuritaire au Nord-Kivu : « Qui sont les tueurs de Beni. Rapport d’enquête n° 1 » s’appuie sur les déclarations de centaines de témoins oculaires des tueries perpétrées dans la partie du territoire de Beni que l’on appelle Beni-rural qu’il interprète. C’est ce qui permet à Stearns et à ses amis de mettre le pied dans le plat pour ébaucher des hypothèses et prétendre identifier les auteurs des crimes qui ont coûté la vie à plus d’un demi-millier de Congolais dans le Grand Nord mieux que ne l’ont fait jusqu’ici les autorités congolaises et la Monusco qui accusent les rebelles Ougandais de l’ADF de ces atrocités perpétrées depuis le dernier trimestre 2014.
L’étude se contente en réalité de romancer plus ou moins ce que les autorités congolaises et la Monusco n’ont cessé de dire jusqu’à ce jour, à savoir que quelques autochtones, c’est-à-dire, quelques Congolais ont été embrigadés par les terroristes des ADF pour tuer leurs propres concitoyens.
Le fait que certains assaillants se soient exprimés en lingala et en kinyarwanda alors que les ADF s’expriment généralement en kiganda et en swahili ne constitue donc en rien un « scoop » que Stearns croit jeter en pâture aux lecteurs de son rapport.
Pour forcer la note, ils insistent sur l’hypothèse de la « participation directe des FARDC aux massacres » en faisant état de témoignages selon lesquels « les membres du 1006 Régiment basés à Kithahomba (à 5 km de l’axe Beni-Nyaleke) seraient les auteurs des tueries ». Ou encore, que des FARDC monnayent les massacres : « Un témoin interne aux FARDC, du grade de sous-lieutenant, confirme (que) un de ses collègues, originaire de l’ancienne province de l’Equateur, aurait été recruté par le groupe de massacreurs. Il a reçu 250 USD au moment de son recrutement, avec promesse de recevoir par la suite 250 USD par tête tranchée ». Des massacres de Tenambo-Mamiki (le 8 octobre 2014), un rescapé dénommé Modeste Leblanc accuse un certain major Byamungu et son escorte d’avoir participé à la tuerie. « Il les connaît bien parce qu’il participe aux travaux communautaires du camp des FARDC de Tenambo-Mamiki et (…) que le major Byamungu convoite sa femme ».
Des témoignages non exhaustifs, loin s’en faut et qui pèchent par un certain subjectivisme dans l’appréciation des faits. Nulle part il n’est prouvé que ce sont des unités FARDC répondant aux ordres de leur hiérarchie qui auraient participé à quelque tuerie que ce soit à Beni. Les auteurs du rapport eux-mêmes le reconnaissent lorsqu’ils écrivent en page 19 que « Néanmoins, il reste difficile de savoir exactement dans quelle mesure la hiérarchie de l’armée a été impliquée dans ces abus et quelles motivations auraient conduit certains de ses membres à participer ».
On aura constater avec quelle facilité les auteurs sont passés de « certains membres des FARDC », à l’affirmation selon laquelle les FARDC ont participé aux massacres de Beni. Cela s’appelle généralisation abusive.
Comme on peut le constater, dans sa quête de sanctification des ADF, Jeason Staerns avoue paradoxalement que ‘’ses enquêtes’’ n’ont établi ni les chaînes de commandement ni les motivations des uns et des autres.
Mais le venin est dans la queue de la bête, dans la conclusion ou l’auteur du rapport qui accable les forces régulières congolaises énonce que la MONUSCO a deux mandats contradictoires : protéger la population civile et étendre l’autorité de l’Etat congolais. Comme pour convaincre le lecteur que les deux objectifs sont inconciliables et incompatibles pour cet expert dans la mesure où la bonne protection de la population congolaise serait conditionnée par l’affaiblissement de l’Etat congolais. Autrement dit, plus un Etat est faible, mieux sa population est protégée … sans doute par procuration ou par substitution, afin peut-être de donner du travail à des experts étrangers au chômage ! On est face à une mystification que l’intelligence la plus élémentaire ne saurait soutenir.
• Point de presse du Dr MUKWEGE à Kinshasa
Notre estimé compatriote le Dr Denis Mukwege, directeur de l’hôpital de Panzi au Sud-Kivu, a tenu une conférence de presse dont la caractéristique principale fut qu’elle était essentiellement politique.
Au cours de sa prestation à l’Institut Français de Kinshasa, le médecin de Panzi a délaissé le sujet qui l’a rendu célèbre à travers le monde, les femmes violées de Panzi, pour parler exclusivement de politique politicienne. C’est son droit.
L’opinion publique, nous l’espérons, aura pu se rendre compte que cette conférence de presse prétendument « interdite » avait simplement été reportée par ses organisateurs de l’Institut français de la Gombe débordés par le voyage de leur ministre Ségolène Royal à Kinshasa et non par le Gouvernement congolais comme l’avait insinué l’intéressé.
L’incident, inventé manifestement de toutes pièces, aura permis au médecin de Panzi de proclamer ses véritables préoccupations de l’heure, qui sont essentiellement politiques. Probablement parce que la page des femmes violées à l’Est de la RD Congo particulièrement, devrait se clore d’un jour à l’autre, et qu’il paraît avoir résolu d’investir sur d’autres thèmes très médiatiques.
Le point de presse du médecin – directeur de Panzi à Kinshasa, fut un événement très politisé, à défaut d’être politique. Reporté comme signalé plus haut par l’institut Français en raison du séjour de la ministre française de l’Écologie et Développement et présidente de la Cop 21 en RDC, le décalage a été présenté avec force publicité par M. Mukwege et ses amis comme une obstruction du « pouvoir en place à Kinshasa ». L’astuce avait l’avantage de le présenter comme un acteur politique dont Kinshasa aurait peur de vérités qui feraient trembler dans les allées du pouvoir congolais.
Force est de constater que, in fine, le point de presse du « réparateur des femmes » s’est bel et bien tenu, et qu’il n’a pas eu pour point focal les femmes violées du Kivu au nom desquelles il court le monde et se constitue un joli pactole sur lequel il refuse de rendre compte à quiconque, même pas au fisc de son pays.
L’Institut Français de Kinshasa vous a bien présenté un praticien qui a allègrement franchi le Rubicon de la politique politicienne. Mardi 15 mars à Kinshasa, c’est « l’alternance démocratique » en République Démocratique du Congo que le médecin de Panzi a réclamé comme remède aux maux dont souffrent ses patientes. C’est, pour lui, la solution pour mettre un terme au cycle des violences sexuelles indicibles imposées à des milliers de femmes de l’Est de notre pays.
On devrait, à l’en croire, conclure que les viols au Kivu et dans tout l’Est rd congolais sont directement liés au manque d’alternance démocratique à Kinshasa. Et pas à l’état de guerre endémique imposé aux paisibles citoyens congolais par des groupes armés criminels qui se sont déversés depuis 1994 dans notre pays et des coalitions de puissances étrangères qui gavent le médecin fistulier de titres honorifiques depuis quelques années.
Comme pour passer sous silence la responsabilité de ses parrains occidentaux dans les maux qui assaillent ses patientes et leurs familles, le Dr. Denis Mukwege a déclaré qu’« On a trop parlé de viol, de guerre, de destruction, il est temps que nous puissions également parler du développement ». Ou encore, « Nous sommes très, très inquiets par rapport à l’année 2016, une année où nous avons deux possibilités : un passage de paix, où on pourrait avoir une alternance démocratique ; ou malheureusement retourner dans le cycle des violences ». Une manière comme une autre d’absoudre les vrais responsables des problèmes qui ont entrainé les dysfonctionnements dont souffrent les femmes du Kivu.
Plutôt que de verser dans les discours ressassés par les politiciens depuis plusieurs décennies, ce médecin qui a forcé notre respect à tous en soignant des femmes violées s’est abstenu dans sa communication de dire aux Congolais ce qu’ils attendaient le plus de lui, à savoir l’impact réel sur nos malheureuses concitoyennes de ses interventions. On attendait de savoir si le nombre de femmes violées avait diminué ou non à l’Est. Ces statistiques sur ce phénomène qui l’a rendu célèbre aurait permis d’apprécier ses efforts qui gagneraient à être coordonnés avec ceux du Gouvernement et des partenaires comme la Monusco qui ne sont pas négligeables sur terrain. Malheureusement il ne les a pas suffisamment élaboré et beaucoup de ceux qui l’ont écouté seraient en peine de savoir si le cycle de violence qui a jeté des centaines de femmes violées entre ses bras à Panzi conserve la même ampleur que par le passé ni en quoi il constitue toujours un problème qui ne peut être résolu que par le discours politicien et grossièrement racoleur fondé sur le procès d’intention fait au Président Joseph Kabila par certains de ses sponsors de se préparer à refuser l’alternance démocratique.
En fait, la relation entre l’alternance démocratique et la fin des violences sexuelles à l’Est est simplement tirée par les cheveux, sinon, comme le constatait un de ses jeunes confrères écœuré par ses diatribes, ces violences n’auraient pas attendu la disparition d’un régime qui régna 32 ans et sans aucun débat sur l’alternance entre 1965 et 1997 pour devenir endémique. Une remarque d’autant plus pertinente que de l’aveu même de Denis Mukwege, « cette barbarie est corrélée à la guerre, à l’absence de l’Etat de droit, au déni de justice. On n’avait jamais vu cela auparavant ».
Faire croire que l’alternance démocratique est synonyme de la fin de la guerre et de ses corollaires que sont l’absence de l’Etat de droit et le déni de justice relève du leurre parfait. Dans la mesure où on peut lui rétorquer qu’un pouvoir fort et dictatorial, comme celui qui a existé dans notre pays en d’autres temps ou aujourd’hui encore dans certains pays de notre continent ou ailleurs, est tout aussi à même d’éradiquer efficacement cette catégorie criminelle.
De fait, les statistiques de nos confrères de Paris Match qui ont consacré un reportage à Denis Mukwege indiquent que le nombre de victimes de viols est en chute libre à Panzi. Il serait passé de quelque 4.000 à 2.500 femmes soignées par jour, même si à l’évidence, de tels chiffres méritent d’être contrevérifiés. Etant donné que les règles élémentaires de la pratique médicale ne permettent pas d’imaginer qu’un médecin puisse effectuer autant d’interventions fistulaires par jour.
Un fait demeure, cependant, le marché des femmes violées pourrait se révéler saturé et financièrement peu rentable d’ici quelques années. De mauvaises langues commencent à croire que c’est la raison pour laquelle ce compatriote qui semble avoir pris goût aux feux de la rampe et aux plantureux subsides, s’agite pour se ménager un créneau plus porteur que la réparation des fistules à Panzi.
Je vous remercie.
Lambert MENDE OMALANGA
Ministre de la Communication et Médias
Porte-parole du Gouvernement