Assiste-t-on à une fin programmée de Lamuka ? Six mois après la présidentielle controversée du 30 décembre 2018, cette coalition de l’opposition semble marquée par des divergences d’intérêts de ses principaux leaders.
Mais que reste-t-il encore de Lamuka ? Cette coalition de l’opposition congolaise, constituée le 11 novembre 2018 à Genève, se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins : disparaître, éclater en plusieurs branches ou continuer à exister malgré les divergences d’intérêts et de stratégies de ses leaders. À la première vue, c’est la première option qui semble la plus probable. Mais la deuxième et la troisième ne sont pas totalement exclues. Car, en réalité, ce sont trois approches – pas forcément antagonistes les unes des autres – qui s’opposent.
Fayulu et « la vérité des urnes »
Martin Fayulu Madidi
Après la proclamation des résultats définitifs de la présidentielle, Martin Fayulu, candidat de Lamuka, est arrivé deuxième avec 34,83 % derrière Félix Tshisekedi (38,57%). Un score qu’il continue à rejeter, revendiquant la qualité du « président élu ». Des chiffres compilés par l’observation électorale de l’Église catholique et une fuite de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) le confortent dans cette position.
Depuis, Martin Fayulu s’est lancé dans un combat pour tenter d’obtenir « la vérité des urnes ». Sans succès, pour l’instant. La Cour constitutionnelle ne l’a pas suivi et des pays de la région, voire l’ensemble de la communauté internationale, semblent avoir fait le choix d’avancer avec celui qui a été proclamé vainqueur de la présidentielle. Une posture que suivent désormais plusieurs autres leaders de la Lamuka.
Fin avril, à Bruxelles, Martin Fayulu s’en est en effet bien rendu compte. Après des échanges avec Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba, Antipas Mbusa Nyamwisi, Adolphe Muzito et Freddy Matungulu, « la vérité des urnes » n’a figuré nulle part dans le communiqué final des assises transformant la coalition électorale en regroupement politique.
Mais « nous allons continuer le combat », ne cesse de répéter Martin Fayulu. Comme nous le révélions sur notre blog précédemment, ce combat s’inscrit désormais dans une recherche d’enclencher un mouvement de réformes démocratiques dans le pays. Ce positionnement est soutenu par l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito et l’ancien ministre des Finances Freddy Matungulu.
Katumbi, chantre d’une « opposition républicaine »
Moïse Katumbi Chapwe
Face à ce bloc Fayulu-Matungulu-Muzito, constitué par des leaders de l’Ouest, un autre courant émerge autour de Moïse Katumbi, coordonnateur en exercice de Lamuka et président d’Ensemble pour le changement, première force de l’opposition parlementaire au Congo. Ici, l’on ne conteste plus la légalité de Félix Tshisekedi en tant que président de la République.
« Nous comprenons qu’il soit encore très dur pour Martin Fayulu d’avancer et d’accepter les résultats définitifs de la présidentielle du 30 décembre 2018, mais il est désormais temps de passer à autre chose », estime un proche d’Antipas Mbusa Nyamwisi qui compose le bloc Est de Lamuka avec Moïse Katumbi, défenseurs tous les deux d’une « opposition républicaine ». Ce qui crée déjà quelques frustrations en interne entre Fayulu et Katumbi. Deux coalisés de circonstance qui ne se côtoyaient pas il y a une année…
Ce qu’en pense Bemba
Du côté de Jean-Pierre Bemba, le troisième principal leader de Lamuka, l’on tente de temporiser. « Nous ne cherchons pas l’unanimité. Des intérêts divergents, n’est-ce pas le propre d’une coalition ? » interroge Fidèle Babala, bras droit du leader du Mouvement de libération du Congo (MLC).
Si d’aucuns considèrent que Jean-Pierre Bemba se retrouve dans le même courant que Martin Fayulu au sein de Lamuka, la réalité est beaucoup plus nuancée : Fayulu a certes déjà appelé les Kinois à se mobiliser pour son retour annoncé le 23 juin à Kinshasa (il n’a pas fait autant pour Katumbi), mais Bemba possède son propre agenda. Et l’ancien vice-président de la République voudrait être celui qui fait la synthèse des positions observées ces derniers mois au sein de Lamuka.
« Réclamer la vérité des urnes et prôner une opposition républicaine ne sont nullement deux choses différentes. Il ne faut pas rester sur le premier degré de la notion ‘vérité des urnes’. Car aujourd’hui tout le monde sait qui a été réellement élu et tout le monde sait aussi qu’il y a eu ensuite un passe-passe entre le régent et le bénéficiaire du deal qui est aujourd’hui président de la République », développe Fidèle Babala.
Des réformes mais pas seulement…
Ainsi se démarque clairement le courant Bemba de celui de Fayulu. Dans le camp du leader du MLC, l’on reconnaît même que les lignes bougent peu à peu : « Joseph Kabila n’est plus formellement président de la République ; la brutalité de son régime commence à s’estomper ». L’heure serait désormais au « travail pour le pays », signant ainsi la fin du « combat de qui a gagné, ou pas ». « Il faut nécessairement des réformes du système électoral et de la Cour constitutionnelle », suggère-t-on également dans l’entourage de Jean-Pierre Bemba. « Mais le MLC n’est pas intéressé à des strapontins ministériels. Ce qui nous intéresse, ce sont des réformes, particulièrement à la Commission électorale nationale indépendante et à la Cour constitutionnelle », confirme Fidèle Babala.
Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi sont-ils en train de se positionner ainsi en vue de la présidentielle de 2023 ? C’est encore trop tôt pour le dire. Toujours est-il que chacun de ces leaders pense déjà aux prochaines échéances électorales et ne voudraient pas laisser un boulevard à leur candidat commun de 2018. Chacun tente donc de reprendre sa liberté et se positionner pour mieux s’y préparer. Mais, en attendant, à Lamuka, l’on observe attentivement la montée des tensions entre le Cap pour le changement (Cach) de Félix Tshisekedi et le Front commun pour le Congo (FCC) de l’ex-président Joseph Kabila. Cette coalition au pouvoir ne parvient pas à se mettre d’accord sur la composition du gouvernement et la tension est encore montée d’un cran après les critiques des dernières ordonnances du chef de l’État, en pleine plénière de l’Assemblée nationale présidentielle par Jeanine Mabunda du FCC.
L’exacerbation des malentendus entre les deux regroupements pourrait ouvrir la voie à une crise et conduire une nouvelle fois aux pourparlers entre acteurs politiques. À court terme, Lamuka cherche ainsi un espace de dialogue pour émerger cette idée. Ce sera alors l’occasion pour la coalition d’opposition de pousser l’idée des réformes démocratiques à mettre en place dans le pays pour que les prochaines élections soient transparentes et que les résultats traduisent la volonté des électeurs. Ce qui laisse transparaître tout de même un double langage dans le chef de certains de ses leaders qui continuent à insister sur la vérité des urnes en public pour négocier des réformes en privé.