Pour beaucoup de spécialistes du développement, le Rwanda représente un gage d’espoir : 23 ans après un génocide, Paul Kagame et le Front patriotique rwandais ont démontré qu’il était possible de transformer un pays déchiré, ruiné, en nation émergente. Qu’il n’était pas utopique d’affecter les résultats de la croissance (7%) à l’amélioration de la santé, de l’éducation, des infrastructures, des services. Dans beaucoup de pays africains, entre autres au Congo voisin, d’aucuns rêvent à leur tour d’un leader visionnaire, attaché au développement de son pays et surtout menant une lutte implacable (et sans cesse renouvelée) contre la corruption.
Le succès du Rwanda est-il pour autant sans faille et est- il transposable ailleurs ? La pérennité du succès économique est elle définitivement acquise dans ce pays ambitieux, certes, mais où les ressources sont comptées et la population (trop nombreuse) encore peu ou mal formée ? Entre voir loin et voir trop grand, la marge demeure étroite. Mais surtout, ayant réussi le pari de faire vivre ensemble tous les Rwandais, les victimes et les bourreaux, les exilés des années 60 et les réfugiés de 1994 qui avaient fui vers les pays voisins, ayant assuré à tous une sécurité appréciée mais payée par un contrôle rigoureux, omniprésent, le Rwanda et son chef, s’ils veulent assurer la pérennité de leurs conquêtes, doivent encore, impérativement, réussir un autre pari : soulever peu à peu le couvercle de la casserole à pression, laisser échapper la vapeur afin d’éviter les risques d’explosion.
Bref, démocratiser sans dérive, réussir un vrai pluralisme, donner une chance à l’alternance sans réveiller les démons de la revanche et de la haine, bannis depuis 23 ans. L’avenir seul dira si le succès rwandais est transposable mais il est d’ores et déjà certain que si les Congolais -par exemple- s’inspiraient de la détermination de leur voisin à lutter contre la corruption et à mettre de l‘ordre dans leur pays, des ressources autrement plus importantes que celles du Rwanda pourraient assurer un rapide décollage.
Quant au pouvoir fort, au leader aussi charismatique et visionnaire qu’il est implacable, est-il vraiment indispensable dans un Congo vaste, multiple, très politisé, habitué à la liberté d’expression et aux joutes contradictoires ? Gageons plutôt que ce qui unit les Congolais (et les manifestations de ces derniers jours le démontrent davantage encore) c’est le désir de voir respectée une Constitution qui après avoir scellé la fin de la guerre en 2002 est toujours le gage du vivre ensemble.
Le ciment de ce pays aux 400 ethnies, c’est sa loi fondamentale et seul celui qui s’en prévaudra aura la légitimité et la force d’entreprendre l’indispensable redressement, non seulement de l’économie et de la répartition des richesses, mais aussi cette « révolution morale » qui s’impose et qu’au Rwanda, pour un temps en tous cas, l’austère et inflexible Kagame a réussi à incarner