Une vidéo mise en ligne montre des soldats qui semblent appartenir à l’armée congolaise tuer une quinzaine de personnes.
« Toi, tu as déjà ton compte ! Bande d’animaux ! »
L’homme gît à terre au milieu d’un chemin vicinal bordé d’herbes hautes et de palmiers. Un soleil brûlant éclaire la scène, filmée et postée sur Internet : huit soldats, que l’on identifie comme appartenant à l’armée congolaise, ouvrent le feu et tirent sans retenue sur des hommes et des femmes, probablement des miliciens de la secte de Kamuina Nsapu. Le chef coutumier a été tué en août 2016 et ses fidèles affrontent les forces de sécurité depuis septembre. Des combats qui ont fait plus de cent morts entre le 9 et le 13 février, selon le Haut Commissariat de l’ONU pour les droits de l’homme.
« Celui-là n’est pas mort »
La vidéo a été transmise à différents médias, vendredi 17 février, et diffusée sur le web dans la foulée. D’autres vidéos similaires, qu’il est difficile de sourcer sérieusement, ont été mises en circulation sur les réseaux sociaux peu après.
Ce premier document n’est pas daté et la localisation citée par l’homme qui porte la caméra est Mwanza Lomba, un village du Kasaï-Oriental situé à une trentaine de kilomètres de Mbuji-Mayi, la capitale provinciale.
« Ils n’ont pas peur de mourir, donc on va leur montrer »,
se vante un supposé militaire face à ces miliciens qui chantent. Puis une rafale de tirs retentit. Chaque victime est ensuite filmée en gros plan. Ceux qui respirent encore sont achevés à bout portant d’une ou deux balles de kalachnikov. Il y a cette femme vêtue d’un tee-shirt jaune ensanglanté, le sexe mis à nu, qui semble lutter contre la mort au milieu d’autres corps qu’un homme en uniforme teste de la pointe de son couteau pour s’assurer qu’ils sont bien morts. Certains ont le visage serré d’un bandeau, ce qui conforte l’idée que ce sont bien des miliciens du mouvement Kamuina Nsapu, considéré comme « groupe terroriste » par les autorités congolaises. Les images les montrent seulement armés de bâtons, de gourdins et des lance-pierres.
Derrière eux, trois soldats attendent dans un de ces camions militaires kaki habituellement utilisés par l’armée congolaise. Ils observent. L’auteur de la vidéo commente :
« Toi tu as déjà ton compte ! Bande d’animaux ! », « Celui-là n’est pas mort »,
indique-t-il à un frère d’arme, qui l’exécute sur-le-champ.
« C’est bon, il a déjà son compte »,
lâche-t-il encore devant un corps. Les échanges se font en lingala ou en swahili. En tout, les six militaires visibles dans ce document, qui pourrait constituer la preuve d’un massacre, tuent une quinzaine de personnes.
Un « montage », selon Kinshasa
Interpellée par plusieurs acteurs de la société civile, la Mission des Nations unies au Congo (Monusco) devrait ouvrir une enquête et se rendre sur place. Dimanche, Mark Toner, le porte-parole du département d’Etat américain, a appelé le gouvernement congolais à « lancer une enquête immédiate et approfondie (…) afin d’identifier les personnes qui ont commis ces exactions odieuses ». L’ONG Human Rights Watch a également annoncé déclencher une enquête de terrain et plusieurs diplomates occidentaux se sont dits préoccupés. Kinshasa a réagi par la voix de son ministre de l’information, Lambert Mendé, qui a admis des « excès », lors d’une opération militaire datant du 21 décembre, de la part de certains militaires qui ont été sanctionnés, « conformément au Code pénal militaire ». M. Mendé, dans un communiqué publié samedi, qualifie cette vidéo de « montage réalisé après ces accrochages par des pourfendeurs du gouvernement ».
La République démocratique du Congo (RDC), qui traverse une profonde crise politique mais aussi économique, est également en proie à plusieurs conflits locaux qui se déroulent sur son territoire. Outre le Kasaï, un conflit meurtrier opposant deux ethnies fait rage dans la province du Tanganyika (sud-est du pays), causant la mort de centaines de personnes. Et, à l’est du pays, des massacres se poursuivent au Nord-Kivu où des groupes armés continuent d’évoluer sur les hauts plateaux.
Par Joan Tilouine (lemonde.fr)