La Cour pénale internationale (CPI) est décidément dans le viseur de bien des chefs d’Etat africains. En effet, Idriss Déby Itno, le président tchadien, dans ses nouveaux habits de président en exercice de l’Union africaine, n’a pas trahi ses pairs en disant tout le mal qu’il pensait de l’institution judiciaire internationale.
Celle-ci serait coupable à ses yeux, de s’acharner sur des dirigeants africains. En effet, l’opinion de l’homme fort de N’Djamena est bien établie que la CPI ferme les yeux sur les exactions commises par des dirigeants sous d’autres cieux, alors qu’elle guette le moindre écart en la matière dans la conduite des dirigeants africains. C’est un truisme de dire que la CPI n’est pas parfaite.
Loin s’en faut. La juridiction porte en elle d’abord des insuffisances inhérentes à ses textes. Par exemple, le principe qui veut que le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies puisse demander au Procureur de la CPI un sursis à enquêter ou à poursuivre, contient le risque de voir le travail de la Cour entravé et la justice compromise momentanément, voire à jamais.
Ce, d’autant plus que les membres permanents du Conseil de sécurité, dans leur majorité, ne sont pas membres de la CPI et ne se sentent pas liés par la nécessité qu’elle atteigne ses objectifs.
Aux Africains de se demander si ce n’est pas de leur faute si la CPI les traque
En plus de ces insuffisances juridiques, il y a celles liées à la pratique. Comme pour faire écho à Jean de la Fontaine pour qui « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir », la CPI donne l’impression de ne s’en prendre qu’aux faibles, de ne juger que ceux qui n’ont plus de pouvoir.
C’est, du moins, le sentiment qu’on finit par avoir quand on considère certaines situations. En principe, pour une juridiction qui se veut respectable comme la CPI, la traque de l’impunité doit se faire avec toute la rigueur requise.
Et chaque fois qu’il y a des indices concordants sur l’implication d’un individu dans des exactions relevant de sa compétence, la CPI doit chercher à l’entendre, quels que soient son statut social et les fonctions qu’il exerce, si les juridictions internes ne le font pas. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas.
A titre illustratif, dans un conflit comme celui qu’a connu la Côte d’Ivoire, la CPI n’a jusque-là traqué que les vaincus pendant que les vainqueurs, malgré les accusations qui pèsent également sur eux, se la coulent douce.
Des accusations qui, faut-il le rappeler, sont contenues dans des rapports d’organisations de défense des droits humains dont on n’a, jusque-là, aucune raison de douter de la neutralité.
Toutes ces insuffisances fragilisent la CPI. C’est évident. Mais, de là à dire qu’elle est un instrument contre les Africains, c’est quelque peu aller vite en besogne. Il y a un fossé à ne pas franchir.
La CPI, dans le principe, joue le rôle de juridiction supplétive. Elle n’intervient que si les juridictions internes se montrent laxistes, incapables, pour une raison ou pour une autre, de juger des individus qui se sont rendus coupables de crimes relevant de sa compétence. Aux Africains donc de se demander si ce n’est pas de leur faute si la CPI les traque.
Cette situation ne met-elle pas à nu les tares mêmes de la Justice en Afrique de façon générale ? Combien de dirigeants africains ont-ils l’élégance de se soumettre à la Justice de leurs pays respectifs ? Combien sont-ils à intégrer le fait que nul n’est au-dessus de la loi ? Très peu, pour ne pas dire personne.
Les hautes cours de justice se retrouvent, dans le meilleur des cas, à ne juger que des autorités tombées en disgrâce, tant celles qui sont aux affaires sont intouchables.
Ce sont, entre autres, les défaillances des juridictions internes aux pays africains qui donnent du grain à moudre au moulin des juridictions supranationales comme la CPI.
De plus, l’argument d’une CPI raciste ne résiste pas vraiment à l’analyse. La Procureure actuelle, Fatou Bensouda, n’est-elle pas Africaine ? Serait-elle de mèche avec quelque ennemi du continent africain ? Certainement pas.
Il aurait été souhaitable que les dirigeants qui veulent se retirer de la CPI aient la décence de demander l’avis de leurs peuples
Indépendamment des insuffisances réelles de la CPI, les Africains lui donnent des arguments pour les poursuivre.
Si les dirigeants africains sont actuellement les plus visés par la CPI, c’est aussi parce qu’ils sont ceux qui prêtent le plus le flanc, ceux qui jouent le plus souvent le rôle de dictateurs.
Il suffit, pour s’en rendre compte, de considérer le nombre de foyers de conflits sur le continent, du fait de présidents ou de chefs d’Etat qui ne s’imaginent pas une vie en dehors du pouvoir. Par leur boulimie du pouvoir, ils exposent leurs pays et leurs peuples respectifs, à des conflits plus ou moins sanglants.
Ce fut le cas hier avec la Côte d’Ivoire, le Soudan, le Kenya. C’est encore malheureusement le cas aujourd’hui avec le Burundi et le Soudan du sud, transformés en véritables enfers pour les populations par leurs propres dirigeants.
Et ce n’est visiblement pas demain la veille la fin de la dictature dans bien d’autres pays du continent où les velléités des présidents de mourir au pouvoir, avec tous les excès qui accompagnent de telles ambitions, ont la peau dure.
Tant que certains dirigeants continueront de penser que les populations sont taillables et corvéables à souhait, tant qu’ils bloqueront toute possibilité pour les juridictions internes de les sanctionner alors même qu’ils commettent des crimes abominables, la CPI aura toute sa raison d’être.
Les têtes couronnées africaines veulent en fait, une CPI des chefs d’Etat. Pas des peuples. Ils rêvent d’une CPI à l’instar de l’UA des chefs d’Etat.
En d’autres termes, ils veulent d’une CPI acquise aux ordres des chefs d’Etat. Ils se seraient certainement fait un plaisir à voir la CPI traquer uniquement les chefs rebelles et les membres des groupes armés qui troublent plus ou moins, leur sommeil.
Ainsi, bien que les présidents africains ne manquent pas d’arguments contre la Cour, ils devraient faire l’effort d’honorer, chacun, la signature de son pays.
Ils ne devront pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Car cette juridiction répressive représente pour de nombreux peuples, le seul espoir de salut face à la barbarie des plus forts du moment.
La crainte de devoir rendre compte freine les ardeurs de nombreux dictateurs. C’est déjà quelque chose.
D’ailleurs, il aurait été souhaitable que les dirigeants qui veulent se retirer de la CPI aient au moins la décence de demander l’avis de leurs peuples respectifs par voie de référendum, mais encore faut-il que les résultats de telles consultations ne fassent pas l’objet de tripatouillages.
Il faudra que la société civile africaine s’organise pour parer à toute éventualité. Car, il y a vraiment fort à craindre que sous la houlette de Idriss Déby qui marche sur les traces de son prédécesseur Robert Mugabé, les pays de l’UA mettent leurs menaces à exécution.
Or, si d’aventure ils venaient à acter leur retrait de la CPI, ce serait catastrophique pour les populations martyrisées et dommageable à bien des égards, pour l’image même du continent africain.