Moïse Katumbi « On crée le chaos pour éviter les élections »

Le parquet général de la République démocratique du Congo a retiré à l'opposant Moïse

Un an ! Cela fait un an que le Rassemblement de l’opposition congolaise a vu le jour. Une alliance entre les principaux leaders et mouvements de l’opposition face aux dérives du pouvoir du président Joseph Kabila dont le second et dernier mandat arrivait à échéance le 19 décembre dernier.

Un an après cette création, que reste-t-il de ce Rassemblement alors que Joseph Kabila est toujours au pouvoir et que les signes annonciateurs d’une alternance démocratique en RDC sont toujours en berne ?

Rencontre sans langue de bois avec Moïse Katumbi, le principal adversaire de Joseph Kabila et l’un des moteurs de ce Rassemblement de l’opposition.

Monsieur Katumbi, quel bilan tirez-vous de cette première année du Rassemblement de l’opposition qui a été, évidemment, marquée par le décès d’Etienne Tshisekedi, le leader naturel de ce mouvement ? 

Je voudrais d’abord saluer le combat d’Etienne Tshisekedi. Son engagement sans faille. Ensuite, il faut constater que le Rassemblement n’a rien perdu de sa détermination et de son poids réel. Notre objectif n’a pas varié d’un iota. Nous voulons le respect de la Constitution. Nous voulons l’alternance politique. Nous voulons la démocratie. Nous voulons éviter le chaos dans lequel veut nous diriger Joseph Kabila et sa clique. Chaque jour, notre détermination est plus forte.

Etienne Tshisekedi disparu, c’est son fils, Félix, qui a repris le flambeau. 

Et ça se passe très bien. Nous sommes exactement sur la même ligne. Avec Félix nous partageons les mêmes objectifs. Nous nous voyons régulièrement, nous nous parlons tous les jours. Ce qui compte, ce ne sont pas les hommes, c’est l’avenir du Congo et de près de 80 millions de Congolais.

Pourtant, certains membres du Rassemblement vous ont abandonnés en cours de route. 

C’est ce que je viens de vous dire, ce qui compte, ce ne sont pas les individus mais le Congo et l’ensemble du peuple congolais. D’ailleurs, je tiens à souligner que le Rassemblement, c’est un regroupement de plate-forme et d’un seul parti, l’UDPS. Ceux qui sont partis ne représentent rien. Ils nous ont quittés pour leurs intérêts personnels. Ils ont tourné le dos à la démocratie, au respect de la Constitution. Ceux qui restent dans le Rassemblement, ce sont ceux qui veulent vraiment qu’il y ait un vrai changement dans notre pays , c’est cela la volonté du peuple congolais. Et, croyez-moi, ils sont prêts à bien des sacrifices pour y arriver.

Votre regard sur l’actuel gouvernement du Premier ministre Bruno Tshibala, autre transfuge, comme Samy Badibanga, de l’UDPS. 

Les mêmes maux produisent les mêmes effets. Kabila a changé le Premier ministre et quelques seconds rôles mais il a conservé tous ses lieutenants aux places de choix. Il s’est même permis de choisir quelqu’un qui s’était auto-exclus de son parti, l’UDPS, et donc du Rassemblement. Cela explique les nombreuses missions du gouvernement de Kabila qui donne de fausses informations aux pays de la sous-région que Tshibala appartenait toujours à son parti. Tshibala passera comme Badibanga. Mais pire, tout indique qu’il ne sera qu’un Premier Ministre anecdotique. On l’oubliera et, pour n’avoir pas respecté l’Accord de la Saint Sylvestre et avoir trahi le peuple congolais, il aura tout perdu de sa lutte. C’est dommage.

Rappelons effectivement que le 31 décembre, opposition et majorité présidentielle ont signé, sous l’égide des évêques congolais de la Cenco, l’Accord de la Saint-Sylvestre qui prévoyait notamment que l’opposition obtienne le poste de Premier ministre, la présidence du Comité national de suivi de l’Accord et la tenue des élections avant la fin de l’année ? Vous n’avez pas l’impression d’avoir été naïf ? Vous n’avez finalement rien obtenu ?

Nous avons voulu tout essayer pour éviter le chaos et obtenir le respect de la constitution et donc le départ pacifique de Kabila. Nous savions que nous prenions un vrai risque à négocier avec la majorité qui n’a aucun plan B. Voilà pourquoi jusqu’aujourd’hui, ils n’ont pas désigné un dauphin.. Que le clan Kabila le veuille ou non, le texte de l’accord est sur la table. Les Nations-Unies, l’Union Africaine, l’Union européenne, des nations comme les Etats-Unis, la France, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Angola et la liste est longue, sans oublier le Vatican, demandent la stricte application de cet Accord. C’est un caillou dans la chaussure de la majorité. Un caillou, si vous ne le retirez pas de votre chaussure et que vous voulez continuer à marcher, ça fait très mal jusqu’au moment où vous devez vous arrêter en pleine souffrance…

La semaine dernière, le président Kabila est sorti de son silence pour donner une interview au magazine allemand Der Spiegel, il a expliqué qu’il n’avait pas promis les élections en 2017…

Kabila n’a rien à promettre. Il n’a plus de légitimité, il est hors-la-loi. Il ne peut pas engager le peuple congolais car au terme de l’Accord, il assume son intérim jusqu’au 31 décembre 2017. Il y a des lois et une constitution qui sont au-dessus de lui, qui s’imposent à lui. Ce n’est pas un cadeau qu’il fait, c’est une obligation légale. Dans une démocratie, l’élection n’est pas une option, c’est une obligation. Lui, il ne fait que passer. Il n’a toujours pas compris que le Congo n’est pas un patrimoine privé qu’on gère à sa guise comme une boîte de sardines. Il y aura un après Kabila et plus il s’entête, plus cet après sera compliqué pour lui et pour tout son clan.

Dans la même interview, il n’hésite plus aujourd’hui à évoquer à demi-mot la possibilité d’un référendum 

Souvenez-vous de ce qui s’est passé en janvier 2015 quand il a voulu toucher à la constitution. Le peuple est sorti dans la rue spontanément pour lui dire non. Le pouvoir a tué beaucoup de jeunes gens ce jour-là et il a dû faire marche arrière. Personne n’a oublié. Il en répondra et ce sera bien pire s’il voulait tenter à nouveau l’aventure du référendum. Vous savez, cette interview c’était un défi lancé au peuple congolais. Kabila a montré tout le mépris qu’il a pour les lois du Congo, pour son peuple et pour la communauté internationale. Il pense qu’il est au-dessus de tout, c’est une attitude suicidaire.

Le jour de la publication de cette interview, vous, vous étiez à Genève devant le Comité des Droits de l’Homme du Haut-Commissariat aux Nations Unies. Qu’espérez-vous de cette démarche ?

Je suis allé devant cette juridiction parce que le pouvoir en place au Congo ne m’a pas permis d’épuiser les voies de recours nationales. Je suis frappé par une condamnation de trois ans dans un dossier où les juges ont expliqué les pressions incroyables subies pour prononcer cette sentence. Les évêques de la Cenco ont étudié ce dossier et rencontré tous les protagonistes. Leurs conclusions sont claires, cette condamnation est une mascarade. Je veux que la communauté internationale comprenne bien la situation qui prévaut dans notre pays. Ce que je vis, des milliers de Congolais le vivent. La plainte déposée à Genève vaut donc pour mon cas personnel, mais également pour tous ceux – et ils sont nombreux – qui, dans mon pays, souffrent de l’arbitraire et de l’injustice d’un pouvoir qui instrumentalise la justice. Il faut que cela se sache. Il faut que la communauté internationale fasse aussi pression sur le pouvoir pour que cela cesse. Ces juges qui sont complices doivent faire attention, ils ont fait des études pour rendre justice et non pas pour être au service d’un régime.

Cette démarche doit vous aider à rentrer au pays ? 

Bien sûr mais avec des garanties. J’ai toujours dit que la place d’un opposant dans mon pays c’est soit la prison, soit l’exil, soit la mort. Je ne serai pas une victime de plus d’un régime assassin. Je suis innocent sur toute la ligne, tout le monde l’a reconnu. Je ne vais pas me laisser enfermer pour le bon plaisir d’un dictateur. Je veux rentrer pour mener un combat politique. Je ne veux pas de faveur. Je veux que mes droits soient respectés, que les droits de tous les Congolais soient respectés.

Comment jugez-vous la situation au Kasaï, avec cette rébellion des adeptes de Kamwina Nsapu, la répression meurtrière des forces de l’ordre et l’assassinat de milliers de civils et des deux experts de l’Onu ?

C’est dramatique. C’est inacceptable. On parle de plus de 40 fosses communes. Cela signifie bien plus de 1000 morts. Et tout cela se déroule sans qu’il y ait la moindre enquête indépendante. Le pouvoir annonce aujourd’hui qu’il a commencé à juger les responsables, tant dans les assassinats des milliers de civils que dans celui des deux experts des Nations Unies. On se moque de qui ? Pourquoi un gouvernement qui n’a rien à cacher ne peut-il pas accepter d’accueillir les enquêteurs de l’Onu. Ils ont tout tenté quand les informations sur ces massacres ont commencé à filtrer. J’ai même été désigné comme responsable par le ministre de la Communication d’un montage vidéo qui montrait des militaires en train de tirer sur des civils, des femmes et des enfants. Ce gouvernement voit l’ombre de Moïse Katumbi partout. Ensuite, ils ont sorti les images de l’assassinat des experts de l’Onu pour incriminer les Kamwina Nsapu. Comme ça n’a convaincu personne, ils ont également sorti un enregistrement audio qui incriminait un ancien ministre du gouvernement Badibanga. Personne n’est dupe. Les assassins, les vrais, courent toujours mais ils vont devoir payer. Regardez, c’est assez étonnant, aujourd’hui on ne parle plus des massacres de Beni. Mais comme pour le Kasaï, ces massacres ne resteront pas impunis. Je m’y emploierai. Pour certains, au pouvoir, la vie des Congolais n’a aucune valeur. C’est insupportable. Quel monstre peut se comporter de la sorte. Les cours et tribunaux internationaux devront se saisir de ce dossier. A Beni comme au Kasaï, il faut se poser une question : à qui profite le crime ?

A qui ? 

A ceux qui veulent créer le chaos pour éviter de devoir passer devant les électeurs. Ceux-là même qui refusent l’enquête internationale.

Dans le Kasaï, certains ont aperçu des hommes de Gédéon Kyungu, un seigneur de guerre que vous avez bien connu et que vous avez combattu quand vous étiez gouverneur du Katanga ?

Ce type est un assassin. Un évadé de prison. Un criminel qui vit librement dans son pays, alors que des innocents comme Franck Diongo, Jean-Claude Muyambo et d’autres croupissent en prison ou sont contraints à l’exil. Il doit être jugé. Comme par hasard, après mon départ du gouvernorat du Katanga, Gédéon est réapparu. Il a soi-disant déposé les armes et, pour le pouvoir en place, il est devenu fréquentable. On apprend que ses hommes seraient au Kasaï. Comment voulez-vous qu’ils s’y retrouvent sans la complicité du pouvoir. C’est impossible. Gédéon est devenu un instrument du pouvoir. Ceux qui utilisent ses hommes sont les coauteurs de leurs crimes et ils doivent savoir qu’ils en porteront la responsabilité.

On a parlé du Kasaï, de Béni, mais la situation sécuritaire à Kinshasa est aussi très préoccupante. Plus de 4000 détenus se sont évadés de la prison de Makala le 17 mai dernier, ce samedi, 10 juin, c’est dans la commune de Matete que des attaques ont eu lieu. Comment expliquez-vous cette détérioration de la situation sécuritaire ? 

Une fois encore, cherchez à qui profite le crime. Le désordre pourrait, selon le pouvoir, expliquer le report des élections. Dans son interview au Spiegel, Kabila expliquait qu’en 2011 vu la guerre à l’est on ne pouvait mobiliser de l’argent pour des élections. Il peut être tenté de réutiliser les mêmes recettes pour justifier la non tenue des élections. Mais nous ne le laisserons plus faire. Le peuple est fatigué. Nous vivons dans l’insécurité quotidienne parce que le Congo n’est plus dirigé. Regardez ce qui vient encore de se passer ce dimanche à Beni. Plus de 900 évasions sur 960 détenus. Combien d’évasions sur un mois. L’évasion est chez nous devenu un sport national et il faudrait qu’il soit agréé par le pouvoir ! Tout cela pour créer l’insécurité et ne pas organiser les élections. Et personne ne démissionne !

La semaine dernière, lors de son passage à Kinshasa, une délégation du FMI a annoncé que le dollar vaudrait 2000 francs congolais en fin d’année…

C’est intenable pour les millions de Congolais qui ne peuvent simplement plus acheter le minimum vital. Le pouvoir a puisé dans les caisses de l’Etat pour des fins personnelles. Aujourd’hui, le Congo est au bord de la faillite, il n’y a plus de réserve de change, il n’y a plus un cent pour les travaux publics, même payer les fonctionnaires va devenir difficile et sachez que personne ne prêtera un franc à cet Etat hors-la-loi. Le FMI aussi a plaidé pour le respect de l’Accord de la Saint-Sylvestre avant de songer à prêter le moindre franc au Congo. Les investisseurs privés sérieux ne viendront pas. Les seuls qui sont prêts à prendre le risque aujourd’hui ce sont des aventuriers qui cherchent à se remplir les poches ou à blanchir de l’argent. Et pendant ce temps, le président, les ministres ne se posent aucune question et continuent de vivre comme si tout allait bien. Le Congo est devenu un bateau sans capitaine.

Pensez-vous qu’on puisse toujours organiser des élections en 2017 ? 

Oui, on le peut. Mais le pouvoir ne le veut pas. Il n’a pas de plan B. Kabila ne veut pas quitter le pouvoir. Il ne le cèdera pas à un membre de la majorité, sans quoi il aurait déjà désigné son dauphin. Cela explique pourquoi il refuse le soutien de la Communauté internationale pour le financement des élections. Tout cela dans le seul but de ne pas organiser les élections en prenant prétexte du refus de l’ingérence. Alors que dans le même temps, il tend la main aux bailleurs de fonds. Cà ce n’est pas de l’ingérence ? Il faut rester cohérent.

Nous avons publié récemment dans La Libre une interview de deux démographes qui remettaient en cause les chiffres de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) chargée de l’enregistrement des électeurs. Pour eux, la Ceni avaient gonflé de plus de 2 millions le nombre d’électeurs…

Il y a de sérieux doutes sur l’indépendance de la CENI. Le Rassemblement va bientôt demander une commission pour auditer le fichier électoral.

C’est la Cour constitutionnelle qui peut enregistrer les plaintes, mais cette cour est dans le collimateur du pouvoir qui veut la réformer pour la faire passer de 9 à 5 juges. Cela vous inquiète ? 

Le ministre de la justice s’est fait retoquer il y a quelques jours. Il a tenté de passer en force mais un député a soulevé la question de la non-conformité du texte. Mais pas de doute, il va revenir à la charge. La structure de la cour constitutionnelle, telle qu’elle est prévue aujourd’hui, doit garantir son indépendance. Lorsqu’il a fallu interpréter la constitution pour savoir si Kabila pouvait rester au pouvoir au-delà du 19 décembre sans organiser les élections, la cour a répondu par l’affirmative mais seuls 5 juges sur les 9 s’étaient présentés. Le quorum n’était pas atteint et pourtant les 5 juges présents ont rendu un avis favorable au pouvoir. Kabila ne veut pas que ça se répète. Il veut que cette cour soit complètement à sa botte, notamment pour faire passer l’organisation anticonstitutionnelle d’un référendum. Une fois encore, Kabila se joue de toutes les institutions, il utilise les juges comme des pions. Encore une fois, il agit au Congo comme dans une propriété privée. Il se moque de la loi, des Congolais. Le peuple doit être vigilant. Et les députés doivent faire très attention de ne pas hypothéquer l’avenir de toute une Nation.

Vous avez longtemps plaidé pour qu’il puisse sortir par la grande porte en cédant démocratiquement le pouvoir. Vous y croyez encore. 

J’aimerais y croire parce que ce serait synonyme d’une fin pacifique mais la grande porte est devenue une petite fenêtre très étroite. Mais s’il est très souple, il peut encore passer rapidement.

Le 30 juin, c’est la fête nationale congolaise, quel message imaginez-vous pour cette date ? 

Ce jour-là, c’est la fête de tous les Congolais. Pas la fête d’un homme, d’une famille ou d’un clan. Le peuple doit en profiter pour réclamer le respect de ses droits en exigeant la publication du calendrier électoral. Donc l’organisation des élections. Kabila veut recoloniser pour lui seul le peuple congolais. Nous ne serons jamais d’accord. Il trouvera le peuple sur sa route. C’est cela l’esprit de l’article 64 de notre constitution.

Imaginons que les élections aient lieu, que vous soyez candidat et que vous l’emportiez, quelles seraient vos trois premières mesures ?

La première, c’est de faire respecter le droit à la vie de tous les Congolais. Il faut réformer urgemment le secteur de la sécurité et mettre fin à l’impunité. Il nous faut un Etat de droit. Sans ce premier axe, rien ne sera possible. Ensuite, et ça va de pair, il faut combattre la corruption à tous les niveaux. Il nous faut la bonne gouvernance. Aujourd’hui, avec des moyens modernes on peut notamment tracer tous les flux des fonds publics. Enfin, mais c’est parce que vous m’avez demandé mes trois premiers points, il faut lancer un plan de développement des infrastructures de base et de valorisation du capital humain. Il faut l’éducation, la santé et notamment l’électricité pour tous. Ce ne sont pas que des mots, mes projets sont bien construits. Mon expérience au Katanga me sera très utile.

Mais toutes les provinces du Congo n’ont pas la même richesse que le Katanga ?

Toutes les provinces ont des atouts. Une fois encore, tout est chiffré. Je n’improvise rien quand je vous dis cela. Ce que j’ai réussi au Katanga, on peut le faire partout mais cela va exiger qu’on se retrousse les manches et qu’on ose, parfois, dire des vérités qui ne sont pas toujours bonnes à entendre. Mais les efforts seront récompensés. Le Congo peut devenir une très grande nation. Les Congolais le méritent après tout ce qu’ils ont enduré ces dernières années.

Hubert Leclercq