La plénière d’hier mardi 26 janvier 2021 était consacrée à l’examen de la motion contre le Premier ministre Sylvestre Ilunga et son équipe gouvernementale. Pour mémoire, les députés motionnaires reprochent au chef de l’Exécutif national l’immobilisme et l’incompétence dans la gestion des actions de l’Etat. Ainsi, les isoloirs étaient déjà montés à l’hémicycle du Palais du peuple aux fins de permettre aux élus du peuple de trancher sur la position à prendre quant au maintien ou non de l’équipe Ilunga Ilunkamba.
Mais à la dernière minute on a appris que le Premier ministre, en séjour de travail à Lubumbashi, avait saisi le bureau d’âge, qui pilote la chambre basse du parlement, de son absence dans la capitale pour répondre à l’invitation des honorables députés. Ce qui devrait normalement mettre en berne les délibérations parlementaires, le temps pour le Premier ministre de regagner Kinshasa et, ce faisant, de prendre un nouveau rendez-vous avec les élus nationaux. Conséquemment, le bureau d’âge a décidé de reporter à ce mercredi la séance de délibérations, dans l’espoir que le chef du gouvernement sera de la partie. Au cas contraire, l’exégèse juridique déterminera de l’issue de l’affaire. D’autant que, déjà, les positions sont diamétralement opposées entre les « partisans » du FCC et de l’Union sacrée, même dans la sphère judiciaire.
En raccourci, les membres du FCC dénient au bureau d’âge la compétence d’examiner des matières qu’ils estiment relevant de la seule compétence du bureau définitif. Ils reprochent également à la Cour constitutionnelle d’avoir violé la Constitution en octroyant, par son dernier arrêt, des prérogatives exagérées au bureau d’âge.
Avis d’expert
Face à cette polémique qui enfle, le professeur Eugène Banyaku donne une interprétation d’expert qui se décline de la manière suivante.
Le départ prévisible du Premier m’inspire la suite aussi prévisible : une bataille juridique longuement mise en place. Le Premier Ministre préparait sa requête à la Cour constitutionnelle depuis sa dernière entrevue avec le Chef. Les services ont négligé cette piste qui se solderait par un forcing politique comme ce fût le cas du feu Premier Ministre par Ngbanda. Avec la majorité acquise à l’Assemblée nationale, il aurait suffi de 48 heures pour le démettre. Mon expérience m’indique qu’aucun Premier Ministre depuis Lumumba, Adoula, Tshombe, Nguz et Tshisekedi, même Gizenga n’a réussi à échapper à une destitution voulue par le Président de la République. Mais le contexte actuel mérite plus de circonspection surtout lorsque la Haute hiérarchie bénéficie d’un grand crédit politique face à un Premier dépourvu d’une majorité parlementaire, d’un crédit de bonne gouvernance et d’un déficit politique remarquable. C’est du gâchis !
Qu’en est-il de la question sur l’examen de la motion de censure contre le Gouvernement par le Bureau provisoire en l’absence du Bureau définitif. A mon avis, trois dispositions constitutionnelles peuvent être évoquées pour les compétences dévolues aux députés et le concours de leur mise en œuvre. L’article 100, alinéa 2 confère aux députés pris individuellement la qualité requise et la pleine habilité pour l’exercice de la fonction législative et celle du contrôle parlementaire sans référence spécifique au rôle du Bureau de l’Assemblée nationale sur ces deux matières autre que celui de la conduite de la police du débat, tel que pratiqué suivant les us et coutume parlementaire.
La deuxième disposition concerne l’article sur l’exigence d’une mise en cause de la responsabilité du Gouvernement, en l’occurrence par une motion de censure introduite par le quart des membres du gouvernement conformément à l’article 146, alinéa 2, la procédure requise pour le débat est celle relative au délai de 48 heures après le dépôt et celle relative au vote concerne son adoption par une majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale conformément à l’alinéa 3 du même article. Au sujet du rejet de la motion de censure par une majorité, les signataires ne peuvent en introduire une autre au cours de la même session. L’article 147 de la Constitution dispose que lorsque la motion de censure est adoptée, le Gouvernement est réputée démissionnaire. Dans ce cas, le Premier Ministre remet la démission du Gouvernement au Président de la République dans les 24 heures.
L’article 148, stipule qu’en cas de crise persistante entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale, le Président de la République peut, après consultation du Premier Ministre et des Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale.
A mon sens, jusque-là aucune disposition constitutionnelle ne fait référence au rôle du Bureau définitif ou, à son absence, celui Provisoire dans toute la procédure de la motion, sinon que celui de la conduite de débat sur la motion de censure.
Alors revient la question sur la validité de cette conduite de débat selon qu’il s’agisse du Bureau définitif ou du Bureau provisoire, en l’absence de ce dernier.
Sur le plan purement doctrinaire, la matière relevant de la plénitude de compétence de chacun des députés ne peut faire l’objet d’une quelconque obstruction de procédure ou de désinvolture individuelle pour en être examinée par les députés dans leur rôle parlementaire.
Mais aussi, la résolution parlementaire sur la matière ne peut se traiter qu’en plénière sur un ordre du jour préalablement établi. Or, celui-ci est déclaré limitatif pour le Bureau provisoire à la fois en vertu de l’article 114 de la Constitution tel que confirmé par les arrêts 1438 et 1453 par la Cour constitutionnelle et en vertu de l’article 116 de la Constitution et repris par l’article 13 du Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale.
A comparer l’impératif constitutionnel sur la compétence des députés à traiter une matière soulevée en urgence, en l’occurrence la motion de censure voulue et signée par plus de deux quarts de membres de l’Assemblée nationale et l’inconsidération de la nature du Bureau définitif ou provisoire pour la conduite du débat sur la matière y soulevée en urgence par la représentation nationale, l’option serait le primat de l’impératif constitutionnel sur toute autre considération formelle pour sa mise en exécution, particulièrement pour la conduite du débat parlementaire sur ce sujet.
Ce primat s’impose pour la résolution de la question en traitement sur cette matière comme la seule issue mettant en sous-niveau la forme de sa mise en œuvre, notamment par un Bureau, qu’il soit provisoire ou définitif. Et cela est engagé, pour que soit résolue la matière mise en cause comme « second best solution » du moment et du contexte considéré. Puisqu’au pire du cas non résolu par l’ultime intérêt de la paix ou au plus bas mot de « l’entente interinstitutionnelle » entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale, la résolution extrême serait la dissolution par le Président de la République de l’Assemblée nationale qui impliquerait aussi conséquemment la démission forcée du Premier Ministre.
Dont acte.
LR