Procès Kamerhe : la politique-business sur le banc des accusés

la politique-business sur le banc des accusés

Avec l’ouverture du procès de Vital Kamerhe, c’est une grande partie de la classe politique congolaise qui se retrouve sur la  sellette. Des politiques accusés depuis des décennies de corruption et de mauvaise gouvernance.

« La politique est un business comme les autres au Congo ». Cette expression devrait prendre tout son sens ce lundi au Tribunal de grande instance de Kinshasa. Pour la première fois dans l’histoire du Congo, un politique de premier plan sera entendu devant la justice pour détournement de fonds publics, passation de marchés de gré à gré et enrichissement illicite. Sur le banc des accusés : Vital Kamerhe, chef d’un puissant parti politique, l’UNC, allié de taille du président Félix Tshisekedi et omniprésent directeur de cabinet de celui-ci. Ce gros poisson de la politique congolaise, passé par le camp Kabila et la présidence de l’Assemblée nationale avant de basculer dans l’opposition et rejoindre Félix Tshisekedi, sera donc devant les juges pour répondre d’un mal qui ronge le Congo et l’empêche de se développer depuis des décennies : la corruption.

50 millions et un terrain pour sa belle-fille

Depuis le 9 avril dernier, Vital Kamerhe dort à la prison de Makala, en détention provisoire. Plusieurs demandes de liberté provisoires ont été déposées par ses avocats… en vain. Le 27 avril, le Parquet a estimé avoir réuni suffisamment de preuve pour ouvrir son procès le 11 mai. Trois principales charges sont retenues contre le directeur de cabinet de la présidence. Toutes sont rattachées au financement des travaux du programme des 100 jours, lancé en grande pompe après l’élection contestée de Félix Tshisekedi à la présidentielle de décembre 2018.

On reproche à Vital Kamerhe et Jammal Samih, l’autre co-accusé, le détournement de 48 millions de dollars « remis à la société Samibo SARL pour l’achat de 1.500 maisons préfabriquées dans le cadre du projet des logements sociaux ». Un autre détournement de 2,1 millions de dollars est imputée au directeur de cabinet. L’affaire concerne « l’achat de 3.000 maisons préfabriquées pour les policiers et les militaires de la ville de Kinshasa ». Enfin, on soupçonne Jammal Samih, d’avoir acheté un terrain de 5.000 m2 dans le quartier de Basoko, au profit de Soraya Mpiana, la belle-fille de Vital Kamerhe. L’achat de cette concession se serait effectué en contre-partie de l’attribution du marché des maisons préfabriquées.

Collusion politique et business

Au centre du procès, qui n’est que la partie immergée de la mégestion du programme des 100 jours, c’est en fait la collusion entre politique, business et services de l’Etat qui se retrouve sur la sellette. En cause : des dépenses publics hors de tout contrôle, de l’argent liquide qui circule en dehors du cadre légal et des acteurs qui se multiplient tout au long de la chaîne des dépenses de l’Etat. Personne n’est en effet capable d’effectuer une traçabilité précise des fonds alloués au programme d’urgence du président Tshisekedi. Dans ce flou plus ou moins artistique, l’argent prend des circuits parallèles et disparaît des radars pour se retrouver dans les poches de politiques ou de responsables d’entreprises privés ou publiques. La période d’intérim de plusieurs mois entre l’élection de Félix Tshisekedi et la mise en place du gouvernement explique cette gestion peu orthodoxe des fonds publics – comme le montre cette minutieuse analyse du Groupe d’étude sur le Congo (GEC).

Au coeur du procès Kamerhe, le volet politique jouera un rôle primordial. Car ce grand déballage devant une justice, qui jusque-là a fermer les yeux sur les détournements d’argent, n’a pu se faire que dans un contexte politique bien particulier : celui d’alliances contre-nature. Le climat de méfiance-défiance entre l’UDPS de Félix Tshisekedi et l’UNC de Vital Kamerhe, puis entre l’alliance CACH de Tshisekedi et le FCC de Kabila, a créé un climat délétère propice aux coups bas et aux dénonciations. La boîte de Pandore a été ouverte et personne ne sait vraiment comment la refermer… sans prendre de coups.

Déballage en direct à la télévision ?

Alors que les alliances UDPS-UNC et CACH-FCC battent de l’aile, au milieu c’est bien le président Félix Tshisekedi qui se retrouve fragilisé. Privé de Vital Kamerhe, le président congolais doit trouver un nouvel allié pour peser dans son bras de fer permanent avec Joseph Kabila. A l’UDPS, les déboires de Vital Kamerhe, perçu comme un intrus et un gêneur, ont plutôt été accueillis avec soulagement, trop content de s’être débarrassé d’un concurrent pour leur poulain à la présidentielle de 2023. Mais ce calcul à court terme pousse un peu plus l’actuel chef de l’Etat dans les bras de Joseph Kabila, qui regarde l’affaire Kamerhe en comptant les points. Mais les kabilistes devraient tout de même se méfier du procès Kamerhe.

Le procès du directeur de cabinet pourrait être l’occasion d’un grand déballage qui éclabousserait l’entourage de Félix Tshisekedi, mais aussi certains proches de Joseph Kabila. Le procès à huis clos de Vital Kamerhe devrait en effet être retransmis à la télévision. Ironie du sort, l’audience devrait être captée par Canal Futur, une chaîne proche de Kamerhe lui-même. En mettant la pression médiatique et en prenant les Congolais à témoin en direct à la télévision, Vital Kamerhe, pourrait retourner son procès en sa faveur et éclabousser quelques caciques au passage.

« Fouiner dans le passé »

Une folle rumeur, ce dimanche, a même fait croire à la révocation de Vital Kamerhe de son poste de directeur de cabinet par Tshisekedi. Un avertissement fort à la veille du l’ouverture de l’audience… qui s’est révélé être une fausse information. A cette guerre des nerfs, difficile de savoir qui peut sortir gagnant ou perdant. Une chose est sûre, si la justice veut sortir vainqueur de cette affaire, il lui faudra ne pas s’arrêter au seul dossier Vital Kamerhe, toujours présumé innocent, mais chercher plus loin et « fouiner dans le passé ». Mais cela, pour l’instant, le président Tshisekedi n’y semble pas encore disposé.

mediacongo

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