Une enquête de RFI et de Reuters révèle le rôle trouble joué par quatre agents de l’État congolais dans la mort de deux experts de l’ONU dans le Kasaï, le 12 mars dernier.
Mandatés par les Nations unies, Zaida Catalan et Michael Sharp enquêtaient sur les violences dans le Kasaï, lorsqu’ils ont été assassinés le 12 mars 2017 à Bukonde. Au terme d’une instruction éclair, le scénario retenu par la justice militaire congolaise est celui d’une mauvaise rencontre des experts avec des miliciens Kamuina Nsapu, qui les aurait dépouillés avant de les tuer. Une dizaine d’entre eux figurent aujourd’hui sur le banc des accusés du tribunal de Kananga.
« Je suis porté à croire que l’exécution des deux experts ne pouvait pas être décidé par une simple milice », affirmait pourtant le 26 juillet, en pleine audience, le lieutenant-colonel Jean Blaise Bwamulundu Guzola. La déclaration du militaire sème le trouble : des agents de l’État pourraient-ils être impliqués dans le double meurtre ? Pendant plusieurs mois, le gouvernement congolais a assuré le contraire, en affirmant n’avoir jamais été prévenu de la présence des deux experts dans la région.
« L’informateur bénévole »
Mais l’enquête de RFI et de Reuters, publiée mercredi 20 décembre, dévoile le rôle trouble joué par quatre agents de l’État congolais. Parmi eux figure un certain José Tshibuabua, présenté par le chef de l’Agence nationale de renseignements (ANR) comme un « informateur bénévole », qui a rencontré les deux experts et leur interprète Betu Tshintela (qui est le cousin de Tshibuabua) la veille de leur assassinat dans un hôtel de Kananga.
Zaida Catalan et Michael Sharp y avaient rendez-vous avec un chef coutumier Kamuina Nsapu, qui les a alertés sur les risques de se rendre dans la région de Bukonde – où les deux experts seront finalement tués. En vain, car Tshibuabua et Tshintela ont traduit l’exact contraire aux experts onusiens, en leur assurant qu’ils ne couraient aucun danger. On connaît leur triste fin.
En consultant des fadettes (des relevés de communications téléphoniques), les auteurs de l’enquête révèlent également que c’est le colonel Jean de Dieu Mambweni, un officier de l’armée congolaise, qui aurait mis en relation les experts avec Betu Tshintela. Après chaque conversation des experts avec leur nouvel interprète, ce dernier discutait dans la foulée avec le colonel Mambweni. Lequel semble désormais pris d’une étrange amnésie sur le déroulé des événements.
Autre fait étrange : les fadettes prouvent que le téléphone de Betu Tshindela était rallumé le lendemain du double assassinat, alors que l’interprète avait été dans un premier temps donné pour mort par le gouvernement congolais. Tshindela aurait notamment passé un appel de 12 secondes au colonel Cris Tambwe, un officier des FARDC, qui assure ne pas s’en souvenir.