RDC : enlèvement inédit de deux experts de l’ONU au Kasaï

Michael Sharp et Zaida Catalán enquêtaient vraisemblablement sur des affrontements

Michael Sharp et Zaida Catalán enquêtaient vraisemblablement sur des affrontements entre les forces armées et les membres d’une milice locale, lorsqu’ils ont disparu avec leurs chauffeurs et leur traducteur. «Trois choses ne peuvent rester longtemps cachées : le soleil, la lune et la vérité.» C’est la dernière phrase retweetée par Zaida Catalán le 3 mars. Neuf jours plus tard, cette jeune Suédoise de 37 ans a disparu sur une route de la région du Kasaï central, au cœur de l’immense République démocratique du Congo. Elle se trouvait en compagnie d’un jeune Américain de 34 ans, Michael Sharp, mais aussi de quatre Congolais : trois d’entre eux conduisaient les motos sur lesquelles circulaient les deux experts de l’ONU et leur traducteur.

Ce dimanche, le groupe avait quitté Kananga, principale ville de la province, et se rendait à Tshimbulu, une localité à 122 kilomètres plus au sud, lorsqu’ils auraient été enlevés par des «forces négatives non identifiées», selon la terminologie employée lundi par Lambert Mende, porte-parole du gouvernement de Kinshasa. Pour l’instant, peu d’informations ont filtré sur l’objectif de leur périple dans une région en proie à de nombreuses violences depuis septembre. «Ce qui est certain, c’est que tous deux connaissent bien le pays et ne sont pas du genre à négliger la sécurité», souligne Kris Berwouts, chercheur belge spécialiste de la RDC, qui avait déjà rencontré les deux experts enlevés dimanche.

RAPPORTS POUR LE CONSEIL DE SÉCURITÉ

Créés en 2004, ces groupes d’experts de l’ONU, à l’origine consacrés à l’observation de l’est turbulent du pays, ont étendu peu à peu leurs champs d’investigation mais sont toujours chargés de produire des rapports destinés au Conseil de sécurité à New York, qui a depuis longtemps placé la RDC sous surveillance. «Ce sont des enquêteurs de terrain, qui travaillent toujours de façon très flexible et autonome. Sans protocole. Ce n’est pas étonnant qu’ils aient décidé de partir à moto pour rencontrer d’éventuels interlocuteurs. Ça correspond à leur mode opératoire», ajoute Kris Berwouts. Et de rappeler que «les rapports suscitent souvent des controverses avec les autorités congolaises. Surtout, dans le climat de méfiance actuel entre le régime de Joseph Kabila et la communauté internationale ».

Voilà plusieurs années que le président du pays est la cible des critiques de la communauté internationale, qui lui reproche autant les dérives violentes de son régime que sa réticence à céder sa place, après avoir été élu deux fois, en 2006 et 2011. En décembre, arguant de l’impossibilité d’organiser l’élection présidentielle prévue à cette date, pour raisons «techniques» (pas de fichier à jour, pas assez de financements, etc.), Kabila a imposé le report d’un an du scrutin et se maintient donc au pouvoir dans l’intervalle, au-delà de la limite des deux mandats fixée par la Constitution. Dans cet entre-deux confus, des affrontements sporadiques n’ont pas manqué d’éclater à nouveau dans plusieurs provinces de ce pays vaste comme l’Europe de l’Ouest, et qui dispose de moins de routes que le Luxembourg. «La frustration sociale et politique de ceux qui manquent de tout engendre à nouveau une multiplication de conflits à l’origine strictement locaux», souligne Kris Berwouts.

(Libération 15/03/17)