La Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) a accusé mercredi les forces de sécurité congolaises et une milice soutenue par l’armée d’avoir « planifié » des massacres relevant de « crimes contre l’humanité » contre une ethnie du Kasaï (centre de la RDC).
« Ce qu’ils (les rescapés) nous ont raconté, c’est clairement l’horreur. Les populations ont été victimes de massacres à grande échelle, d’exécutions sommaires, de mutilations… », a déclaré mercredi à l’AFP Tchérina Jerolon, responsable à la FIDH, lors de la publication à Paris d’un rapport réalisé avec ses organisations partenaires en RDC.
Ces témoignages ont été recueillis en juillet dans le nord de l’Angola voisin auprès de 64 réfugiés rescapés, en majorité de l’ethnie Luba.
Les provinces du Kasaï se sont embrasées en septembre 2016 après la mort d’un chef coutumier, Kamuina Nsapu, dans un assaut des forces de sécurité, déclenchant des affrontements avec la milice du même nom, faisant près de 4.000 morts, selon l’Eglise catholique. L’ONU a recensé 87 fosses communes et 1,4 million de déplacés.
« Entre au moins fin mars et juin, les populations de l’ethnie Luba ont été massacrées dans plusieurs dizaines de villages du territoire de Kamonia (sud de la province du Kasaï) en raison de leur ethnie, de leur supposée affiliation politique à l’opposition et de leur appartenance ou soutien supposé » à Kamuina Nsapu, dénonce la FIDH.
Ces crimes « ont été planifiés, dirigés et menés par des agents de l’Etat congolais » (armée et police) et « la milice Bana Mura », soutenue par l’armée, selon la FIDH, qui ajoute: ils « ont été perpétrés principalement à des fins politiques et relèvent de crimes contre l’humanité ».
– ‘Calvaire’ –
Selon l’organisation, des éléments de Kamuina Nsapu ont perpétré de graves exactions, notamment des « exécutions sommaires, souvent sous la forme de décapitations ».
Puis, « les forces de défense et de sécurité ont déclenché des actes de représailles disproportionnés, et ne visant pas uniquement cette milice », dénonce la FIDH. Des militaires ou policiers « auraient procédé à des dizaines d’exécutions sommaires de civils ».
Dès mars, « des réunions auraient été organisées à l’instigation des autorités locales (…) et/ou représentants des forces de sécurité » pour « préparer les civils à commettre des massacres contre les Luba ». Selon des témoins, ils ont souvent été commis « par des voisins » issus d’autres ethnies (Tchokwe, Pende, Tetela).
Le même mode opératoire caractérise ces massacres, selon la FIDH: les familles non Luba quittent le village, puis Bana Mura et des membres des forces de sécurité les encerclent et y massacrent les civils, à l’aide de fusils, machettes, couteaux.
Selon des témoins, la localité de Cinq a vécu un « calvaire »: encerclement, exécutions de civils dans leurs maisons, malades brûlés vifs dans l’hôpital, femmes violées et victimes de sévices sexuels. De nombreux enfants ont aussi été tués à coup de machette.
Ces massacres ont été perpétrés alors que la RDC est plongée dans une crise politique: les autorités ont repoussé les élections à fin 2018, braquant l’opposition radicale qui demande le départ du président Joseph Kabila dès la fin 2017.
Or, « les provinces du Grand Kasaï sont réputées pour être des bastions de l’opposition », relève le rapport. Paul Nsapu (sans lien avec la milice du même nom), originaire du Kasaï et représentant de la FIDH en RDC, a dénoncé mercredi la « manipulation venue du pouvoir de Kinshasa ». Les ethnies du Kasaï « vivaient pacifiquement, mais la récupération politicienne a fait qu’il y a eu cette stigmatisation d’une ethnie », a-t-il fustigé.
En dépit des informations dont elles disposent, « les autorités congolaises n’ont enclenché aucune enquête effective » sur ces crimes, dénonce la FIDH.
L’organisation a annoncé qu’elle allait transmettre à plusieurs institutions une liste de « 50 noms de présumés responsables » (éléments de l’armée, de la police, des Bana Mura, autorités locales…) des crimes commis, et exhorté la Cour pénale internationale à ouvrir une enquête.
Deux experts de l’ONU ont été tués en mars au Kasaï alors qu’ils enquêtaient sur ces violences. Mercredi, une enquête de l’agence Reuters et de Radio France internationale accuse des « agents de l’Etat (congolais) et affiliés » d’avoir pris part à l’organisation de la mission à l’issue de laquelle les experts ont trouvé la mort.