Des violences ont éclaté mardi dans plusieurs villes de la République démocratique du Congo, au jour de l’échéance du mandat du président Joseph Kabila, qui entend se maintenir au pouvoir.
La République démocratique du Congo (RDC) s’enfonce dans une impasse politique. Alors que son mandat est arrivé à son terme, mardi 20 décembre, le président congolais, Joseph Kabila, a reporté les élections à une date indéterminée, au risque de voir le pays s’embraser.
Des violences ont éclaté mardi à Kinshasa, la capitale, et dans plusieurs villes du pays, où l’opposant historique Etienne Tshisekedi a appelé à ne plus « reconnaître » le président, qu’il accuse de « coup d’État ». La circulation et l’activité ont repris très timidement à Kinshasa mercredi matin au lendemain de violences meurtrières liées au maintien au pouvoir de Joseph Kabila.
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Quelle est l’origine des tensions ?
La date du 20 décembre hante la vie politique congolaise depuis des mois. Elle marque la fin attendue du mandat de M. Kabila. Arrivé au pouvoir à l’âge de 29 ans à la suite de l’assassinat de son père en janvier 2001, il ne semble guère résolu à quitter ses fonctions présidentielles, alors que la Constitution lui interdit de se présenter au-delà de deux mandats. Quelques minutes avant minuit, la télévision publique congolaise a annoncé la formation d’un nouveau gouvernement d’union nationale, sous l’égide de M. Kabila.
En octobre, le président a négocié son maintien au pouvoir, fruit d’un accord conclu entre la majorité et une frange minoritaire de l’opposition mais rejeté par la coalition du Rassemblement constituée autour de la figure d’Etienne Tshisekedi, 84 ans. Le nouveau cabinet est dirigé par un transfuge du parti de M. Tshisekedi, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), Samy Badibanga.
Les détracteurs de M. Kabila l’accusent d’avoir torpillé le processus électoral et de vouloir instaurer une présidence à vie. La présidentielle qui devait avoir lieu cette année a été reportée sine die. Le président entend se maintenir en fonction dans l’attente de l’élection d’un successeur. Ce que les Congolais ont surnommé le « glissement » a d’ailleurs été validé, en mai, par la Cour constitutionnelle, qui a statué en faveur de son maintien à la tête de l’Etat jusqu’à la prochaine élection.
Face à des opposants divisés, M. Kabila se sait en position de force. En ce mois de décembre, ses hommes de confiance ont participé au dialogue avec toute l’opposition, cette fois sous l’égide de l’Eglise congolaise. Les évêques catholiques de RDC ont adressé, mercredi 21 décembre, un ultimatum aux hommes politiques du pays, les pressant de s’entendre « avant Noël » sur une voie de sortie de la crise.
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Comment réagit l’opposition ?
Estimant que M. Kabila « a perdu sa légitimité et sa légalité à la tête du pays », M. Tshisekedi a accusé le chef de l’Etat de s’être rendu coupable de « parjure », de « haute trahison » et de « violation intentionnelle de la Constitution » en refusant d’organiser sa succession.
Après l’annonce de la formation du nouveau gouvernement, M. Tshisekedi a appelé ses concitoyens « à ne plus reconnaître » Joseph Kabila comme président dans une vidéo mise en ligne sur YouTube, mais invisible en RDC où le contenu des réseaux sociaux est filtré depuis dimanche soir :
« Je lance un appel solennel au peuple congolais à ne plus reconnaître l’autorité de M. Joseph Kabila, à la communauté internationale de ne plus traiter avec Joseph Kabila au nom de la République démocratique du Congo. »
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Comment réagit la population ?
Au jour de l’échéance du mandat de M. Kabila, tout comme la veille, la plupart des 10 millions d’habitants de Kinshasa sont restés chez eux, évitant les grandes avenues de la ville, d’ordinaire très actives. Seuls des petits rassemblements s’étaient formés dans la capitale – où les manifestations sont interdites – après l’appel à la « résistance pacifique », lancé par M. Tshisekedi.
Des groupes de jeunes ont brûlé des pneus ou monté des barricades dans plusieurs quartiers de la capitale, où policiers et militaires sont déployés en très grand nombre, comme dans toutes les grandes villes du pays. Peu après minuit, des coups de feu avaient été entendus dans plusieurs quartiers de Kinshasa pour faire taire des concerts populaires de sifflets et casseroles en signe de protestation contre le pouvoir.
Le même jour, des violences ont éclaté dans plusieurs autres villes de RDC, notamment à Lubumbashi, Manono ou Kananga. Mercredi, la circulation et l’activité semblaient avoir repris très timidement dans la capitale.
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Quel bilan humain ?
Les autorités congolaises ont pour l’instant fait état de onze morts pour la journée de mardi, neuf à Kinshasa et deux à Lubumbashi, la deuxième ville du pays. Mais selon un « bilan provisoire » donné à la presse par le chef du Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’homme en RDC, José Maria Aranaz, 19 personnes ont été tuées mardi à Kinshasa, Lubumbashi et Matadi, et 45 autres blessées.
Depuis le 16 décembre, l’ONU a par ailleurs recensé 113 arrestations dans le pays, dont des dirigeants et des sympathisants de l’opposition, des activistes de la société civile et des défenseurs des droits de l’homme, des professionnels des médias.
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Quelle est la position de la communauté internationale ?
La Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo a fait part mardi de « sa profonde inquiétude » face à ce qu’elle a présenté comme une « vague d’arrestations et de détentions au cours des trois derniers jours dans toute l’étendue » de la RDC.
Craignant que la RDC, vaste Etat de 70 millions d’habitants ravagé par deux guerres entre 1996 et 2003, replonge dans une spirale de violence, la communauté internationale multiplie les appels au calme depuis des semaines. La France a notamment appelé mardi l’Union européenne à réexaminer ses relations avec la RDC au vu de la gravité de la situation sur place.