Le tribalisme est en train de revenir en force en République Démocratique du Congo, avec en première ligne des acteurs politiques. Lors du dernier Conseil des ministres présidé par le Chef de l’Etat, des poursuites judiciaires ont été brandies à l’endroit de tous et toutes celles qui, à l’avenir, vont verser dans cette antivaleur.
C’est, pense-t-on, dans la foulée de cette mesure que le député FCC Garry Sakata, récemment au centre de la controverse comme co-auteur, avec Aubin Minaku, de la proposition de loi relative à la réforme de l’appareil judiciaire, qui s’est cru en droit de déposer, au bureau de l’Assemblée nationale, un texte appelé à réglementer la matière.
D’aucuns pensent, au regard de l’existence, depuis 1966, d’une ordonnance-loi interdisant le racisme, le tribalisme et le régionalisme sur le territoire national ainsi que des dispositions pénales applicables aux coupables, que la loi Sakata est sans objet, car elle vient intervenir dans un domaine déjà réglementé.
Nombre d’observateurs estiment que le tribalisme, qui commençait à se tasser progressivement après les turbulences de la CNS (Conférence Nationale Souveraine), avec comme pic l’épuration kasaïenne en 1992 et 1993 dans l’ex-province du Shaba (actuellement éclatée en provinces du Tanganyika, du Lualaba, du Haut-Katanga et du Haut-Lomami), est revenu en force au lendemain du découpage territorial de 2015, avec le passage du pays de 11 à 26 provinces.
Les parlementaires de la dernière législature, pressés d’appliquer le découpage territorial alors que le pays n’avait pas les moyens financiers et logistiques de l’assumer, portent une lourde responsabilité dans le démantèlement de l’esprit nationaliste que feu Maréchal Mobutu avait réussi à installer chez plus d’un compatriote, avec la réduction des provincettes de 26 à 9, puis à 11, avec l’éclatement de l’ancien Kivu en trois (Nord-Kivu, Sud-Kivu et Maniema).
Au lieu d’évoluer vers de grandes entités territoriales viables dans le pays, sénateurs et députés de la dernière législature ont avalisé la création de provincettes non viables, où la plupart d’assemblées et gouvernements provinciaux fonctionnent sous les arbres, avec d’interminables arriérés de salaires pour les ministres et députés provinciaux, ainsi que les personnels politiques.
La conséquence immédiate est, comme à l’époque des 26 provincettes des années’60, que le Katangai ne se reconnait plus dans le Tanganyika, le Lualaba, le Haut-Katanga ou le Haut-Lomami ; que le Kasaïen est partagé entre le Sankuru, le Lomami, le Kasaï Oriental, le Kasaï Central et le Kasaï ; que l’Equatorien est perturbé face à la Tshuapa, à la Mongala, au nouvel Equateur, au Sud-Ubangi et au Nord-Ubangui ; que le Bandundois a perdu ses repères devant le Kwango, le Kwilu et le Maindombe, etc.
A défaut de s’identifier à leurs nouvelles provinces, les Congolais d’aujourd’hui ont tendance à calquer leur identité sur leur ethnie ou, carrément, leur tribu. Lors des dernières élections présidentielle, législatives nationales et provinciales, en décembre 2018, nombre de candidats ont recruté leur électorat parmi les hommes et les femmes de leurs villages, de leurs secteurs et de leurs territoires.
Le sectarisme communautaire – qui s’est développé à tel point que les mises en place dans les cabinets politiques, les entreprises publiques, l’administration publique, la territoriale, la diplomatie… – a tendance à obéir à la vision familiale, clanique, villageoise, tribale de la République.
Si la RDC tient à redevenir une Nation où ses filles et fils seraient capables de se faire violence pour prendre leurs distances vis-à-vis de la fibre tribale ou ethnique, il lui faut revenir aux grands ensembles géopolitiques, administratifs et économiques, aux pools de développement où les brassages humains et culturels seraient favorisés par la forte circulation des personnes et des biens à travers de grandes surfaces géographiques. Plus les citoyens vont se cloisonner dans leurs clans, leurs villages, leurs secteurs, et davantage vont se évelopper des sentiments et des comportements de haine tribale, ethnique et des conflits de cohabitation.